Un centre de traitement du choléra à Saint-Marc, en Haïti, le 26 août 2016. | HECTOR RETAMAL / AFP

« Au nom des Nations unies, je veux vous le dire très clairement : nous nous excusons auprès du peuple haïtien. Nous n’avons tout simplement pas fait assez concernant l’épidémie de choléra et sa propagation en Haïti. » En trois phrases, prononcées en français, en anglais et en créole, Ban Ki-moon vient de clore, jeudi 1er décembre, devant l’assemblée générale des Nations unies, six ans de silences embarrassés de l’ONU sur sa responsabilité dans l’épidémie de choléra qui touche Haïti depuis 2010.

« La sincérité du discours du secrétaire général était palpable », s’est réjouie Beatrice Lindstorm, juriste à l’Institut pour la justice et la démocratie en Haïti, une ONG américaine qui a aidé les familles de victimes à déposer plainte contre l’ONU. Mais elle regrette que l’organisation refuse toujours de reconnaître sa responsabilité juridique. « La déclaration ne dit pas que les Nations unies sont responsables d’avoir importé le choléra à Haiti. C’est une vérité qu’on voudrait vraiment entendre de la bouche de Ban Ki-moon », a t-elle estimé.

Eaux usées et matières fécales

Sous la pression de la presse et des ONG, l’ONU avait très timidement admis en août « son implication dans le foyer initial » de l’épidémie qui a fait près de 10 000 morts et contaminé 800 000 personnes depuis l’arrivée d’un contingent de casques bleus népalais déployés dans le cadre de la mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah).

Selon des rapports d’experts, la contamination serait liée aux eaux usées et aux matières fécales qui se sont déversées dans un affluent de l’Artibonite, rivière près de laquelle était installé le campement de la Minustah. La souche du virus avait été séquencée et s’était avérée identique à la bactérie responsable du choléra en Asie du Sud. Mais les experts s’étaient bien gardés d’incriminer les casques bleus népalais et l’ONU a toujours argué de l’immunité diplomatique de ses missions pour rejeter toute responsabilité légale dans cette affaire.

Mais à quelques semaines de quitter son poste de secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon a voulu refermer ce dossier douloureux qui a « a jeté une ombre sur les relations » entre l’ONU et Haïti et « terni la réputation des casques bleus ». Surtout, la position de l’ONU devenait intenable. De très fortes pressions en interne, portées notamment par l’universitaire Philip Alston, rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains, qui avait publiquement dénoncé « le voile de silence et la chape de plomb » discréditant l’ONU, pressaient le secrétaire général de faire des excuses publiques.

Plan de 400 millions de dollars

En signe de « bonne foi » et des « efforts sincères pour démontrer concrètement à quel point les souffrances endurées par les Haïtiens à la suite de l’épidémie de choléra suscitent de profonds regrets », l’ONU a aussi officialisé un plan pour éradiquer le choléra, annoncé au mois d’octobre. L’organisation espère réunir en deux ans 400 millions de dollars (377 millions d’euros) qui seront partagés entre un programme de travaux d’assainissement et un fonds de compensation aux victimes.

L’intensification de la lutte contre le choléra est devenue une priorité pour l’ONU depuis que l’ouragan Matthew a balayé violemment Haïti en octobre, détruisant toujours plus les infrastructures sanitaires et faisant repartir l’épidémie de choléra dans le sud de l’île. Les cas sont passés « d’un peu plus de 2 000 en septembre à près de 6 000 début novembre » selon l’organisation. Seulement un quart de la population a accès à des toilettes décentes et la moitié à de l’eau salubre. « Sur l’échelle des besoins humanitaires mondiaux, les sommes nécessaires pour éliminer le choléra en Haïti sont faibles », a plaidé Ban Ki-moon, pour qui « cette mission est réaliste et réalisable ».

Parmi l’enveloppe générale, l’organisation espère provisionner 200 millions de dollars pour dédommager les victimes « sur une base communautaire » à travers des projets d’éducation, de santé ou de microfinance. L’approche individuelle qui consisterait à verser une somme fixe pour chaque victime est « trop compliquée » faute de recensement fiable depuis le début de l’épidémie. Les Etats membres sont cependant appelés à se mobiliser sur une base volontaire. « Une véritable occasion manquée », dénonce Philip Alston : pour lui, en refusant de reconnaître sa plein responsabilité, l’ONU condamne la collecte de fonds à n’être « qu’une opération de charité », avec un grand risque que « peu voire pas d’argent soit versé et que cette nouvelle approche ne reste qu’une promesse couchée sur le papier, mais sans réelles avancées pour les Haïtiens ».