Norbert Hofer, candidat malheureux du FPÖ (extrême-droite), et Alexander Van der Bellen, nouveau président autrichien élu dimanche 4 décembre. | HARALD SCHNEIDER / AFP

L’écologiste Alexander Van der Bellen a remporté dimanche 4 décembre, l’élection présidentielle autrichienne, avec 53,3 % des suffrages exprimés, contre Norbert Hofer, le candidat de l’extrême droite (FPÖ). Le 22 mai, M. Van der Bellen avait remporté le second tour du scrutin avec seulement 31 000 voix d’avance mais les résultats avaient été invalidés pour vice de procédure concernant les votes par correspondance.

Dimanche, M. Van der Bellen s’est réjoui de la victoire d’une « Autriche pro-européenne ».

Philippe Ricard, chef adjoint au service International du Monde, rentre d’une semaine en Autriche, plus précisément dans un village de Styrie qui avait voté majorité Hofer en mai, puis à Vienne. Il a répondu, dans un chat, à quelques-unes des nombreuses questions de nos lecteurs.

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Norbert Hofer, candidat malheureux du FPÖ (extrême-droite), et Alexander Van der Bellen, nouveau président autrichien élu dimanche 4 décembre. | HARALD SCHNEIDER / AFP

Avec la victoire d’un candidat vert à la présidence de l’Autriche, quelle sera la perspective de ce pays pour les six prochaines années ?

Philippe Ricard La victoire du candidat des Verts, Alexander Van der Bellen, contre le candidat de l’extrême droite, Norbert Hofer, met un terme à une longue période de campagne électorale. L’Autriche, du moins une majorité de ses électeurs, sort soulagée de cette très incertaine séquence. En cas d’élection de M. Hofer, elle aurait été le premier pays européen à être dirigé par une personnalité d’extrême droite depuis la fin de la seconde guerre mondiale et le suicide d’Adolf Hitler. Cette perspective inquiétait nombre d’Autrichiens, même si la victoire de M. Van der Bellen a longtemps paru indécise.

Ce dernier devient donc le chef d’Etat d’un pays gouverné par une grande coalition entre les sociaux-démocrates et les conservateurs. Ce gouvernement devrait bénéficier d’un répit, alors que l’extrême droite espérait, en cas de victoire de M. Hofer, accélérer son ascension vers le pouvoir.

Quels changements politiques y aura-t-il en politique internationale pour l’Autriche ?

De façon générale, et c’est vrai aussi sur les questions internationales, le président autrichien se contente traditionnellement d’un rôle honorifique. M. Van der Bellen a confirmé pendant sa longue campagne électorale qu’il respecterait la coutume en la matière, bien que, sur le papier, la Constitution autrichienne lui accorde un certain nombre de prérogatives que M. Hofer aurait pu faire valoir pour favoriser l’accession de son parti à la tête d’un gouvernement. Ce dernier aurait pu ainsi désavouer le gouvernement pour accélérer la tenue d’élections anticipées et nommer le chef de son parti, Heinz-Christian Strache, à la chancellerie. Cette hypothèse s’éloigne désormais et M. Van Der Bellen devrait laisser la grande coalition poursuivre ses politiques, en particulier dans le domaine international.

M. Van Der Bellen a axé une partie de sa campagne en faveur de la participation de l’Autriche à l’Union européenne, en agitant la menace d’un « Öxit », sur le modèle du Brexit britannique, en cas de victoire de l’extrême droite.

M. Hofer militait pour lever les sanctions prises à l’encontre de la Russie en raison du conflit ukrainien en allant à l’encontre des positions du gouvernement en place à Vienne. Cette position ne devrait donc pas changer, avec le nouveau président. De même, Vienne restera très critique à l’égard des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, car cette réserve est cultivée par l’ensemble des partis politiques, sous la pression de l’extrême droite.

Le résultat aura-t-il une influence sur les prochaines législatives autrichiennes ?

Oui, sans doute, au moins sur le calendrier. Une victoire de M. Hofer aurait fragilisé la grande coalition actuellement au pouvoir à Vienne entre la gauche du chancelier Christian Kern et la droite, et, en cas d’élection, le président d’extrême droite aurait pu mener la vie dure au gouvernement pour précipiter un nouveau scrutin législatif avant le rendez-vous normal fixé en 2018. L’équipe en place obtient donc un répit.

Cependant la longue campagne électorale qui s’achève a montré la très forte progression du parti d’extrême droite sur l’ensemble du territoire, alors que le système politique autrichien, où sociaux-démocrates et conservateurs se partagent depuis des décennies le pouvoir et les postes, semble à bout de souffle.

Après le Brexit et l’élection de Trump, on aurait pu s’attendre à une victoire de Norbert Hofer. Que s’est-il passé chez les électeurs ?

Cette élection restera comme totalement inédite dans l’histoire politique autrichienne en raison de ce contexte international très favorable aux forces populistes et eurosceptiques qui aurait pu, en effet, faire le jeu du FPÖ (extrême droite) et de son candidat, Norbert Hofer. Ces deux événements – la victoire du Brexit au Royaume-Uni, le 23 juin, et celle de Donald Trump aux Etats-Unis, le 8 novembre – sont survenus alors qu’avait déjà eu lieu en Autriche un second tour déjà très disputé en mai entre M. Van der Bellen et M. Hofer.

Mais ce dernier a eu du mal à capitaliser sur les suites du Brexit dans la mesure où les modalités de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne restent encore très confuses. Les négociations n’ont toujours pas été lancées et la perspective d’un « Öxit » du même ordre a pu faire réfléchir une partie de l’électorat. L’opinion publique autrichienne sait bien, en dépit d’un fort courant eurosceptique, que le pays a pu bénéficier de son adhésion à l’Union européenne en 1995, puis du vaste élargissement à ses voisins d’Europe centrale en 2004. Ces événements lui ont permis de retrouver sa place dans les échanges entre l’Est et l’Ouest du continent.

M. Hofer cultivait, comme une bonne partie de ses homologues européens d’extrême droite, une certaine proximité avec M. Trump, dont l’élection est cependant perçue comme inquiétante par une partie de l’électorat autrichien. Il y a peut-être eu, dans une partie de l’électorat, un sursaut afin de protéger la réputation internationale de l’Autriche, tout en jouant la carte d’une certaine stabilité.

Pourquoi ne parle t-on que du risque de l’extrême droite et non de la progression de l’écologie ?

La victoire de M. Van der Bellen n’est pas nécessairement la victoire d’un candidat écologiste. Il s’est lui-même présenté en tant qu’indépendant, certes avec le soutien du parti écologiste, mais en faisant très attention de ne pas s’aliéner le vote des électeurs que son profil aurait pu effaroucher. Pour nombre de conservateurs, la perspective de voter pour une figure du parti vert autrichien n’allait en effet pas de soi, en particulier dans les campagnes.

M. Van der Bellen doit, de fait, son élection à la mobilisation d’un électorat qui dépasse largement le seul électorat des Verts. Sa défaite aurait en revanche permis à l’extrême droite de placer un des siens à la présidence de la République.

Cette défaite du FPÖ à la présidence autrichienne va-t-elle avoir une répercussion sur les autres partis d’extrême droite européens ?

Une victoire de Norbert Hofer aurait sans aucun doute été saluée par tous les alliés européens du FPÖ, à commencer par le Front national qui suivait de très près la campagne. Sa défaite est un revers pour l’extrême droite autrichienne dans la mesure où M. Hofer semblait en situation de créer un précédent. Elle va contribuer à soulager les partis de gouvernement qui se sont émus de l’effet conjugué du Brexit et de Donald Trump.

Manifestement, même en Autriche, l’extrême droite bute encore contre un plafond de verre qui l’empêche d’être majoritaire en dépit de la très forte progression dont elle bénéficie en raison d’un fort vote protestataire de la part de ceux qui s’estiment en situation de déclassement, qu’il soit réel ou fantasmé. Ce cas de figure existe dans d’autres pays européens, la France en tête.