Jeudi 1er et vendredi 2 décembre, différents quartiers du sud de la capitale, du centre  et de l’est ont été le théâtre d’affrontements ayant fait au moins huit morts et de dizaine de blessés. | Ismail Zetouni / Reuters

Un calme précaire était revenu lundi 5 décembre à Tripoli où des combats entre milices rivales avaient éclaté les jours précédents dans la plus grosse flambée de violences au cœur de la capitale depuis l’installation fin mars du gouvernement d’« union nationale » de Faïez Sarraj, activement soutenu par les Nations unies et les capitales occidentales. Jeudi 1er et vendredi 2 décembre, différents quartiers du sud de la capitale (Abu Salim, Bab Benghashir), du centre (les alentours de la forêt Nasr) et de l’est (Suq-al Juma) ont été le théâtre d’affrontements ayant fait au moins huit morts et de dizaine de blessés.

Martin Kobler, l’envoyé spécial des Nations unies pour la Libye, s’est dit « extrêmement alarmé » par ces deux journées de combats ayant mobilisé chars, pick-up et armes lourdes. « Il est tout à fait inacceptable, a-t-il ajouté, que les groupes armés se battent pour faire valoir leur intérêt et leur influence, particulièrement dans les zones habitées, terrorisant la population. »

La brutale dégradation de la situation sécuritaire de la capitale, déjà précaire et volatile, souligne le caractère largement fictif de l’autorité de Faïez Sarraj près de neuf mois après son arrivée à Tripoli. Dépourvu de toute force militaire propre, M. Sarraj n’a pu s’installer dans la capitale qu’avec le soutien de katibas (unités combattantes) dont les trois plus importantes sont la Brigade révolutionnaire de Tripoli (BRT), Gneiwa et Rada en plus des milices de la ville de Misrata favorables aux accords de Shkirat de décembre 2015 ayant donné naissance au gouvernement d’union nationale.

Pas d’armée nationale

Neuf mois après avoir pris formellement les rênes, M. Sarraj n’a toujours pas mis sur pied l’armée nationale qui figurait parmi ses objectifs prioritaires. Non seulement la Cyrénéaïque (Est) dirigée par le général Khalifa Haftar a rejeté son autorité mais les différentes milices de la Tripolitaine (Ouest), où s’exerce le semblant de tutelle de M. Sarraj, n’ont pas encore été absorbées dans une ébauche d’institution militaire. « Il n’est pas possible de créer un gouvernement indépendant s’il est protégé par des milices, a déclaré samedi 3 décembre M. Kobler au journal en ligne Libya Herald. Cette situation doit cesser. »

Cette fragmentation du paysage sécuritaire dans la capitale a permis à un foyer d’opposition anti-Sarraj d’émerger. Tirant parti de la montée générale du désenchantement dû aux difficultés de la vie quotidienne – coupures d’électricité, inflation, crise de liquidités bancaires –, l’aile dure de l’ancien bloc politico-militaire à inclination islamiste de Fajr Libya (Aube de la Libye) a réactivé ses réseaux après avoir adopté un profil bas dans la foulée de l’arrivée de M. Sarraj. Fajr Libya avait dirigé l’essentiel de la Tripolitaine après l’éclatement de la guerre civile de l’été 2014 qui l’avait opposé aux partisans du général Haftar soutenus par l’Egytpe et les Emirats arabes unis.

Morcellement sécuritaire et idéologique

A la mi-octobre, l’ancien « premier ministre » du gouvernement – non reconnu par la communauté internationale – issu de Fajr Libya, Khalifa Ghweil, avait pris possession avec ses partisans armés de l’hôtel Rixos, l’ancien complexe résidentiel où Mouammar Kadhafi hébergeait ses hôtes de marque. L’un des théâtres de violences des 1er et 2 décembre était précisément les alentours de l’hôtel Rixos. Le défi lancé à l’autorité de M. Sarraj par M. Ghweil est soutenu par des groupes se reconnaissant dans la rhétorique radicale du grand mufti Sadik al-Ghariani.

Ces dernières semaines ont vu la montée de la tension entre les partisans de Sadik al-Ghariani et certaines milices pro-Sarraj, notamment la brigade Rada accusée (ce qu’elle a nié) d’avoir tué début octobre le cheikh Nadir al-Omrani, un proche d’al-Ghariani. La brigade Rada s’inscrit dans la mouvance salafiste dite madkhaliste (du nom du théologien saoudien Rabi al-Madkhali préconisant le respect de l’autorité politique en place) qui compte des disciples autant dans le camp de M. Sarraj que dans celui de son rival de l’Est, le général Haftar. Le retour à Tripoli du morcellement sécuritaire autant qu’idéologique ajoute à un casse-tête libyen déjà infiniment complexe.