Longtemps, Amy Adams a pensé que sa vocation était de devenir chanteuse de karaoké. Ce n’était ni une blague ni une vue de l’esprit. Plutôt une obsession. Un moyen de s’en sortir, aussi. De se démarquer d’un père militaire ; d’une fratrie de sept enfants, dont elle était la quatrième ; de l’impression de ne jamais pouvoir surnager au sein du groupe ; de la religion, pesante dans sa famille de mormons de la banlieue de Denver, dans le Colorado, où l’église était un lieu de prière, de vie et de rencontres. Cet enfermement, c’était l’alpha et l’oméga de son existence. Jusqu’à ses 12 ans, quand ses parents ont divorcé.

L’église est alors passée en arrière-plan. Les prières ont cessé d’être obligatoires, il fallait partager son temps entre chaque parent. L’actrice de Premier Contact (sortie en France le 7 décembre), film de science-fiction de Denis Villeneuve dont elle tient le premier rôle, se souvient de ces allers-retours en voiture du domicile du père à celui de la mère, d’une ville du Colorado à l’autre. C’était au milieu des années 1980, et l’adolescente n’avait d’autre distraction que des chansons qui résonnaient dans sa tête et qu’elle répétait en boucle.

Une « fixation sur la musique de “Out of Africa” »

Elle les apprenait par cœur et mémorisait à la perfection les notes de musique. « J’ai d’abord fait une fixation sur la musique de Out of Africa, se souvient Amy Adams. C’est une superbe partition de John Barry. Je m’en rendais déjà compte à l’époque, c’est vous dire. Elle a nourri mon imaginaire. Des mois durant, j’ai imaginé ce qu’était l’Afrique. Je suis ensuite passée à la bande originale de Dirty Dancing. Ici, rien d’original, je connaissais chaque mot de chaque chanson par cœur. Le karaoké devenait une option, un choix de vie, une voie à suivre. J’ai intégré, mémorisé à l’extrême, jusqu’à l’obsession, d’autres comédies musicales : Les Misérables, Bye Bye -Birdie, Grease, Le Fantôme de l’Opéra… Au risque de rogner sur mon sommeil, tant les mots résonnaient dans ma tête. »

Pour saisir l’enjeu de son personnage, Amy Adams a lu et relu des livres de syntaxe, de sémantique et de phonologie. | Sony Prod DB

L’actrice américaine de 42 ans a été révélée tard, alors qu’elle avait la trentaine, à rebours d’autres qui connaissent la gloire hollywoodienne à peine l’adolescence achevée. Ses vrais premiers rôles sont arrivés à partir de la fin des années 2000. Elle a notamment marqué les esprits avec Fighter (2010) et American Bluff (2013), de David O. Russell, et avec The Master (2012), de Paul Thomas Anderson. Elle a peiné à s’imposer, à trouver sa propre voie. Comme quand elle était adolescente et se perdait dans les partitions des spectacles et les chansons qu’elle répétait en boucle.

C’est que, depuis l’adolescence, elle se cherchait un modèle. L’actrice Ann-Margret, star de Tommy, de Ken Russell, extravagant film musical de 1975 avec Roger Daltrey, chanteur des Who, et Elton John, s’était imposée en idéal dans l’esprit de la future comédienne. Le physique plantureux de celle qui reste l’une des blondes les plus affolantes des décennies 1960 et 1970 – revoir Le Kid de Cincinnati, de Norman Jewison, ou Ce plaisir qu’on dit charnel, de Mike Nichols, pour prendre la mesure du phénomène – fascinait Amy Adams. Elle a longtemps essayé de lui ressembler : son rôle de serveuse agressive dans Fighter, petite amie d’un futur champion du monde de boxe, ou celui de vamp dans American Bluff sont des hommages à une actrice qui a hanté ses nuits.

Amy Adams et Jeremy Renner dans le film « Premier Contact ». | Sony Prod DB

« J’ai eu des réactions étonnantes après ce rôle dans American Bluff. Tom Ford, l’ancien patron de Gucci, passé à la réalisation, m’a dit avant de me proposer le rôle principal de son nouveau film [Nocturnal Animals, sortie en France le 4 janvier 2017] qu’il n’en revenait pas de voir une fille aussi belle. Je vois les choses autrement. Mon rôle dans American Bluff est celui d’une fille qui a recours en permanence au mensonge. C’est un personnage incroyablement antipathique. Mais les seules questions que m’a posées David O. Russell, le réalisateur, durant le film concernaient ma plastique. Déprimant. »

« J’ai réalisé que ce n’est pas votre corps, mais votre tête qui importe. Je l’ai compris au début des années 2010 en travaillant avec Philip Seymour Hoffman et Joaquin Phoenix dans “The Master”. »

Amy Adams a tellement détesté son personnage et la manière dont elle a été traitée par le metteur en scène qu’elle s’est coupé les cheveux juste après le tournage. Pour en finir avec les fantasmes d’adolescente. Et réfléchir à sa carrière, dans un Hollywood où le physique et l’âge comptent, surtout pour les femmes. « Les choses se termineront rapidement pour moi. J’ai 42 ans, j’ai déjà compris sereinement que tout cela s’arrêtera juste après avoir commencé. »

Une grande taille, un corps maigre, des cheveux roux, une moue loin des canons d’Hollywood, Amy Adams est différente du modèle de l’actrice qu’elle avait rêvé d’être. Mais elle a su patiemment s’en affranchir. « J’ai réalisé que les efforts ne se situaient pas ici. Ce n’est pas votre corps, mais votre tête qui importe. Je l’ai compris au début des années 2010 en travaillant avec Philip Seymour Hoffman et Joaquin Phoenix dans The Master. J’interprétais l’épouse du fondateur de la secte incarné par Seymour Hoffman. Vous n’avez pas idée de l’intensité du jeu de ces deux comédiens sur un écran. C’est très impressionnant. Il faut vous mettre au diapason. Avant cela, je n’avais pas compris grand-chose. » Avec The Master, elle eut l’impression d’avoir exercé son métier, jusque-là, en amateur.

« “Premier Contact” est un film de science-fiction intime, spectaculaire par sa modestie », explique Amy Adams, ici avec Jeremy Renner dans dans une scène du film. | Sony Prod DB

Denis Villeneuve, le réalisateur canadien de Prisoners et de Sicario, aujourd’hui l’un des plus grands « stylistes » au cinéma, lui avait fait peur en décrivant son rôle dans Premier Contact : après l’arrivée d’un vaisseau extraterrestre, une linguiste est appelée de toute urgence par l’armée américaine afin de décrypter le langage des aliens et d’évaluer si ceux-ci seraient hostiles à notre planète. Elle a passé des dizaines d’heures sur les bancs de l’université, a lu et relu des livres de syntaxe, de sémantique et de phonologie pour comprendre son personnage et saisir ce qui se trouvait en jeu dans le film : écouter l’autre. « C’est un film de science-fiction intime, spectaculaire par sa modestie, l’histoire d’une femme marquée par la mort de sa petite fille qui se retrouve soudain avec la responsabilité de devoir décider d’un conflit mondial. » Denis Villeneuve lui avait expliqué qu’il fallait jouer le rôle avec sa tête. « C’est ce que j’ai appris à faire. » Amy Adams s’est enfin trouvée.


« Premier Contact » (1 h 56), de Denis Villeneuve. En salles le 7 décembre.

La bande-annonce de « Premier Contact »

PREMIER CONTACT Bande Annonce VF (2016)
Durée : 02:25