« Wilder Shores of Love », 1985. | ROBERT BAYER/BILDPUNKTAG, SWITZERLAND

Quand on demande à Jonas Storsve s’il fut compliqué, il y a quelques années, de commencer à monter la rétrospective de Cy Twombly, organisée jusqu’au 24 avril 2017 au Centre Pompidou, à Paris, il lève les yeux au ciel : « Au début, c’était monstrueux ! » Le conservateur danois connaissait pourtant bien son sujet, pour avoir orchestré en 2004 une exposition de dessins de l’artiste américain à Beaubourg. Mais voilà, Twombly était alors vivant. Et il avait pour habitude de décrocher son téléphone pour convaincre musées et collectionneurs de prêter ses œuvres pour des expositions.

Cy Twombly au Centre Pompidou : une œuvre « savante et sensuelle »

Sans le pouvoir de conviction du peintre, décédé en 2011 à 83 ans, tout devient plus compliqué. Jonas Storsve enchaîne d’abord les rebuffades. Une collection suisse, qui avait prêté des œuvres pour la rétrospective Twombly à la Tate Modern, à Londres, en 2008, ne prend même pas la peine de le recevoir. À peine plus poli, un musée américain le fait lanterner pour finalement se dérober. Difficile de garder la foi après de tels déboires. « Il a fallu travailler autrement, intégrer des œuvres peu vues, moins “standard”, confie Jonas Storsve. Mais je devais absolument obtenir des œuvres variées, sinon j’allais jeter l’éponge. »

« J’ai dû négocier, demander à chaque collectionneur de contacter leurs agents d’assurances pour faire baisser les taux. » Jonas Storsve, conservateur au Centre Pompidou

C’est là où la Fondation Cy Twombly entre en jeu. Pendant les trois ans de préparation de l’exposition, son président, Nicola Del Roscio, garde un contact quasi quotidien avec Jonas Storsve. Son aide sera précieuse pour obtenir du musée de Philadelphie qu’il envoie à Paris le célèbre cycle Fifty Days at Iliam, évocation de figures mythologiques grecques. Une gageure : l’institution s’était toujours refusée à prêter cet ensemble, même pour la rétrospective de 1994 au MoMA, à New York.

Autre difficulté, localiser les œuvres. Par deux fois la chance sourit à Jonas Storsve. Lors d’un dîner chez un ami à Londres, il trouve la trace d’un tableau daté de 1963 qu’aucun marchand n’était parvenu à localiser. Grâce à la galerie Gagosian, qui représente l’artiste, il traque une toile qui avait figuré en 1988 dans la vente posthume de la collection d’Andy Warhol chez Sotheby’s. François Pinault figure aussi au rang des prêteurs. Mais, par un rocambolesque concours de circonstances, le prêt met deux ans à se concrétiser. La Poste égare le premier courrier officiel de demande. « Pendant un an, je n’osais pas revenir à l’attaque, se souvient Jonas Storsve. J’ai beaucoup attendu avant de poser la question et me rendre compte que la lettre n’était jamais arrivée à bon port ! »

« Night Watch », 1966. | CHEIM & READ

Passé l’accord oral avec l’état-major du milliardaire breton restait une autre embûche : convenir d’une valeur d’assurance. Et c’est là où les choses se corsent. Le marché de Cy Twombly a considérablement changé en quelques années. Le prix record de 70 millions de dollars décroché en 2014 par une de ses toiles a fait exploser les valeurs d’assurance. « J’ai dû négocier personnellement, demander à chaque collectionneur de contacter leurs agents d’assurances pour faire baisser les taux, raconte Jonas Storsve. Parfois on a réussi à faire baisser de 50 %. Certains musées avaient doublé, voire triplé la valeur d’assurance », en raison des cotes montantes des œuvres.

Pour éviter que le Centre Pompidou ne soit étranglé financièrement, la Fondation Cy Twombly a joué les bons samaritains en contribuant à un tiers des frais de l’exposition, dont le montant, non divulgué, oscillerait entre 1 et 2 millions d’euros.

« Cy Twombly », Centre Pompidou, Paris 4e. Jusqu’au 24 avril 2017. www.centrepompidou.fr

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