60 % des étudiants inscrits en première année de licence ne passent pas en deuxième année. La majorité se réoriente. | S. Graveleau

Forte de son parcours brillant dans un lycée lorrain, d’un baccalauréat économique et social (ES) décroché en 2015 avec une mention « bien », et de son envie profonde d’étudier le droit, Loubna, 19 ans, n’imaginait pas que son entrée à l’université serait si compliquée : « J’ai passé un mois sur les bancs de la fac avant d’arrêter. J’ai décroché à cause d’un mal-être personnel mais aussi du système qui ne me plaisait pas » raconte-t-elle dans un appel à témoignages lancé sur Lemonde.fr.

Ont eu raison d’elle, au moins dans un premier temps, les amphis « surpeuplés », les camarades « tous aussi démotivés les uns que les autres », et la pression d’enseignants qui répétaient à l’envi : « Regardez votre voisin de droite et de gauche, un seul d’entre vous passera l’année suivante ! » Des paroles certes peu motivantes, mais en deçà de la réalité : le taux moyen de réussite des étudiants inscrits pour la première fois en première année de licence ne dépasse pas 40 % pour toutes filières confondues – un chiffre qui inclut tout à la fois ceux qui échouent à la fin de la L1, ceux qui décrochent en début d’année et ceux qui se sont réorientés précocement.

Pour Loubna, ce décrochage ne sera finalement qu’une pause, un détour. Pour apprendre à travailler à son rythme et éloigner la pression, elle décide de s’inscrire à une première année de droit par correspondance, qu’elle obtiendra. Avant de revenir, en septembre 2016, sur les bancs de sa fac, bien « moins bondés », en L2.

Le droit de se tromper

Des étudiants de L1 qui s’interrogent sur leur orientation et la voie qu’ils ont choisie, après avoir, ou non, décroché : Linda Cormenier en voit passer beaucoup chaque année. Chargée d’orientation et d’insertion professionnelle à l’université de Poitiers depuis 2007, elle décrit leur profil : comme Loubna, « ce ne sont pas nécessairement des étudiants en difficultés scolaires qui n’ont pas le niveau, loin de là ». Mais ils peuvent être « décontenancés par la façon de travailler à l’université » qui demande plus d’autonomie et d’émancipation. Ou alors « être surpris de la teneur de matières, le droit ou la psychologie par exemple, qu’ils n’avaient pas au lycée et qu’ils avaient idéalisées ». Ou tout simplement « ne pas avoir assez pris le temps, au lycée, pour réfléchir à cette orientation ».

Ces étudiants frappent en nombre à la porte du Safire (Service d’accompagnement à la formation, l’insertion, la réussite et l’engagement) de Poitiers, à trois périodes de l’année : en septembre, après le premier semestre et à la fin de la L1. Les conseillers leur proposent alors des ateliers hebdomadaires de trois heures. Connaissance de soi, de ses envies, mais aussi connaissance des filières, « on les aide à accepter qu’ils aient le droit d’hésiter ou de s’être trompés, explique-t-elle, que l’orientation n’est pas tubulaire et qu’on peut prendre différents chemins pour arriver à un objectif ».

Si l’on ne se sent pas bien dans ses études, faut-il tout arrêter, le temps de réfléchir ? « Pendant la démarche de réorientation, nous leur conseillons quand même d’aller en cours. Tout ce qu’ils pourront y acquérir pourra être réinvesti ensuite » répond-t-elle.

« Rester actif »

Pour les autres, « ceux qui ont vraiment besoin de faire une pause », une période de césure peut être une bonne solution. Les témoignages en ce sens sont nombreux. Claire, une étudiante parisienne de 20 ans qui a décroché en 2014 de sa première année commune aux études de santé (Paces), témoigne avoir « trouvé ça très dur d’être déscolarisée et coupée de [son] environnement social ». Quand elle s’est aperçue, après un semestre de cours, qu’elle s’était trompée de voie, elle a choisi de partir, au second semestre, améliorer son anglais comme jeune fille au pair de l’autre côté de la Manche. Elle est aujourd’hui une étudiante heureuse en deuxième année de traduction à Paris.

« Je conseille aux décrocheurs de décrocher pour de vrai, de ne surtout pas rester à la fac en visiteur, mais de vraiment la quitter, pour aller voir ailleurs » raconte de son côté Téo, 24 ans. Son année de pause, après avoir laissé tomber la faculté de droit, lui a permis, entre autres, de faire du bénévolat. Et de dédramatiser ses études en les considérant « non plus comme une fin en soi, ou une activité de développement personnel [accessible ailleurs donc] mais comme un moyen d’obtenir un profil crédible afin de trouver un emploi ».

S’éloigner des études pour un temps, afin de « se remettre en cause et de mieux comprendre ce qui nous motive », ne doit cependant pas se faire n’importe comment. « Il est important de rester actif, dans du bénévolat, un service civique, etc., prévient Téo. Car c’est en restant actif que l’on découvre des opportunités utiles pour reprendre ses études ». Cela permet aussi de « multiplier les rencontres et de moins se sentir seul » confirme aussi la conseillère d’orientation Linda Cormenier.

De la difficulté de « faire machine arrière »

Pour ceux qui seraient tentés de « rentabiliser » le temps libéré par un job à plein-temps rémunéré, mieux vaut y réfléchir à deux fois. il peut être difficile de retrouver le chemin des études, donc d’un diplôme et, in fine, d’un métier qu’on a choisi, après avoir travaillé, gagné de l’argent et adapté son train de vie à cette rémunération. « Une fois dans le monde du travail et hors du nid parental, il sera très compliqué de faire machine arrière », commente ainsi Guillaume, 26 ans, ancien décrocheur de Paces aujourd’hui devenu responsable dans une grande chaîne de distribution :

« Abandonner son salaire ou “bûcher” après le boulot demande encore plus de motivation que la première fois. »

A Poitiers, où plus de 50 % des étudiants sont boursiers, les conseillers d’orientation voient passer de plus en plus de jeunes ayant dû arrêter leurs études « pour des problèmes sociaux, parce qu’ils devaient travailler » commente Linda Cormenier. La solution de l’alternance, lorsqu’elle existe dans la filière voulue, peut constituer un bon compromis.

Alternance, cours par correspondance, année de césure, travail, expérience de bénévolat, rentrées décalées, etc. : pour rebondir après une mauvaise orientation, les solutions ne manquent pas. « Il ne faut pas prendre le décrochage comme un handicap. Et ce, malgré la sensation de “portes qui se ferment”, conclut Cédric, étudiant de 23 ans en licence professionnelle de communication, après avoir abandonné ses études de psychologies. Rien n’est grave ou irrattrapable, il ne faut juste ne pas baisser les bras et saisir les opportunités. »