Une fillette de 8 ans, issue du peuple Lakota, le 24 août, devant le tribunal de Washington. | ALEX WONG/GETTY/AFP

Certains ont le visage peint, casquette vissée sur la tête et téléphone portable en main. D’autres, hommes ou femmes, chevauchent à cru des montures au son de chants traditionnels, de longues tresses leur battant le dos. Des tipis ont été montés pour accueillir des centaines de personnes et les drapeaux des tribus indiennes rassemblées sur la plaine flottent au vent. Des policiers américains en uniforme observent la scène, quand ils ne procèdent pas à des interpellations.

Malgré les apparences, cette prairie du Dakota du Nord n’est pas le décor d’un western inédit. La mobilisation lancée il y a plusieurs mois par les Sioux de la réserve indienne voisine vise l’arrêt de la construction d’un oléoduc qui empiète, selon eux, sur des terres sacrées où sont enterrés leurs ancêtres, et menace l’approvisionnement en eau de leur territoire. Ils craignent notamment qu’une rupture des canalisations ne vienne polluer la rivière Missouri qui, rappellent-ils, les alimente en eau potable et irrigue non seulement des terres indiennes, mais aussi des milliers de fermes et de ranchs.

Long de 1 800 kilomètres, le pipeline, qui coûtera 3,7 milliards de dollars, est prévu pour entrer en service à la fin de l’année, et doit acheminer le pétrole jusqu’en Illinois.

Un tour politique

Face aux manifestations, les travaux ont été suspendus sur le tronçon contesté par les Sioux, qui ont saisi la justice pour demander l’arrêt de la construction. L’entreprise texane qui développe le projet assure avoir obtenu les autorisations nécessaires. Selon elle, ses canalisations enterrées sont bien plus sûres que le train ou le camion pour le transport du pétrole. Vendredi 9 septembre, tout en rappelant qu’il était « conscient des avanies subies par cette tribu depuis des siècles », un juge fédéral a estimé que les permis étaient valides et autorisé la poursuite du chantier.

Mais l’affaire a pris un tour politique avec l’intervention du gouvernement : peu après cette annonce, les ministères de la justice et de l’intérieur ont en effet demandé le gel des travaux dans un rayon de 32 km autour de la zone défendue par les Amérindiens. « Cette affaire a mis en lumière le besoin de discussions sérieuses (…) sur ce type de projets », indique notamment le communiqué. La justice devrait donc se pencher à nouveau sur le dossier dans les prochaines semaines.

« [Les Amérindiens] ont toujours payé le prix de la prospérité américaine »
David Archambault II, président de la tribu sioux des Standing Rock

Mais ces tensions ont aussi ravivé de vieux antagonismes. Dans une tribune publiée par le New York Times le 24 août, David Archambault II, président de la tribu sioux des Standing Rock, rappelle que les Amérindiens « ont toujours payé le prix de la prospérité américaine » : « Les Sioux ont signé des traités en 1851 et en 1868. Le gouvernement les a dénoncés avant même que l’encre ne soit sèche. » En 1958, rappelle-t-il encore, le barrage sur le Missouri décidé par les autorités a pris « nos forêts le long de la rivière, nos vergers et nos terres les plus fertiles ».

Après les protestations qui ont conduit, en novembre 2015, Barack Obama à annuler la construction d’une section de l’oléoduc géant Keystone, qui devait relier le Canada au golfe du Mexique, les nombreuses tribus indiennes et les défenseurs de l’environnement, unis dans ce mouvement inédit, espèrent obtenir gain de cause. Certains n’hésitent pas à ériger cette protestation en « tournant » pour la défense des intérêts amérindiens. Non sans grandiloquence, quelques-uns y voient même une réminiscence de la bataille de Little Big Horn qui, en 1876, signa l’une des plus cuisantes défaites de l’armée américaine. Les autorités voulaient alors exploiter les gisements aurifères des Black Hills sur des terres appartenant… aux Sioux.

L’oléoduc empiètera, selon les Indiens, sur des terres sacrées où sont enterrés leurs ancêtres. Ici, le 18 août 2016, à Cannon Ball. | DANIELLA ZACMAN / NYT / REA