« Il faut faire du bruit, il faut sortir Keywan de là », insiste au téléphone François d’Artemare, le producteur français (Les films de l’après-midi) du cinéaste iranien Keywan Karimi. Le mardi 13 décembre, à 20 heures, un film du réalisateur, Writing on the City, sera projeté lors d’une soirée de soutien au Cinéma des cinéastes, à Paris. La mobilisation se met en place en faveur du cinéste de 31 ans, condamné en février 2016 à un an de prison et à 223 coups de fouet, pour « insulte envers les valeurs du sacré » et « propagande » contre le régime iranien. Il est incarcéré depuis le 23 novembre à la prison d’Evin, à Téhéran.

Writing on the City est un documentaire sur les graffitis et les messages inscrits sur les murs de Téhéran, depuis la révolution de 1979 jusqu’au mouvement de 2009, au lendemain de la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad. C’est ce film qui lui a valu des ennuis ainsi qu’un procès kafkaïen. A l’occasion du festival de San Sebastian, en 2013, le cinéaste avait mis en ligne la bande-annonce de Writing on the City. De retour à Téhéran, les autorités avaient saisi son disque dur et son matériel de travail. Keywan Karimi avait alors été détenu deux semaines à Evin avant d’être libéré sous caution. Sa première condamnation en octobre 2015 – six ans de prison et 223 coups de fouet – a été ramenée en appel, en février 2016, à un an de prison, le châtiment corporel restant inchangé.

223 coups de fouets

Affiche du film « Drum » de Keywan Karimi | DR

Pendant quelque temps, le cinéaste n’a pas été inquiété par les autorités. En mars 2016, Keywan Karimi a démarré son premier long métrage, Drum, avec le soutien du producteur François d’Artemare. « En juin, Keywan s’est présenté devant les autorités iraniennes, qui lui ont demandé une confession écrite de toutes ses activités depuis ces derniers mois. Keywan a signalé la préparation de Drum, film en noir et blanc dans la veine de Bela Tarr », précise François d’Artemare. Drum a été sélectionné au festival de Venise (Semaine de la Critique) qui a eu lieu du 30 août au 10 septembre 2016. La pression s’est accentuée à l’automne. « En novembre, dix jours avant son arrestation, Keywan a été convoqué à la prison d’Evin, à Téhéran. Il s’est présenté avec sa mère, malade et atteinte d’un cancer. Il a été relâché le jour même pour qu’il puisse s’occuper d’elle », poursuit le producteur. Mais le 23 novembre, le cinéaste a été arrêté pour de bon, et incarcéré.

« La condamnation est tombée sur Keywan. C’est un message envoyé à tous les artistes et à tous les intellectuels, constate François d’Artemare. Et ça marche. Personne en Iran ne veut se mobiliser pour Keywan, et on ne peut en vouloir à personne. La mobilisation ne peut se faire que de l’étranger ». Keywan Karimi « rejoint » la liste des artistes mis à l’écart par le gouvernement iranien, tel Jafar Panahi, arrêté en 2010, condamné à six ans de prison (une peine qui n’a pas été effectuée), et à l’interdiction de réaliser des films pendant vingt ans – ce qui ne l’empêche de tourner dans la clandestinité : Taxi Téhéran (2015) a obtenu l’Ours d’or à Berlin, et le Centre Pompidou, à Paris, vient de consacrer une rétrospective intégrale au réalisateur.

Réaction politique

Les politiques doivent aussi agir, souligne le député européen Jean-Marie Cavada. « Dans un premier temps, mercredi 7 décembre, lors de la remise du prix européen, qui récompense des acteurs de la liberté, je vais parler de la situation de Keywan Karimi », explique l’ancien journaliste et ex-président de Radio-France (1998-2004). Il y a trois ans, le parlementaire centriste s’était mobilisé en faveur d’Edward Snowden – le « lanceur d’alerte » qui avait dévoilé en 2013 le vaste programme de surveillance de l’agence américaine NSA (National Security Agency) – en demandant qu’il soit protégé par l’Union européenne et se voie délivré un passeport européen.

Cette année, justement, le prix du livre européen est parrainé par le cinéaste américain Oliver Stone, réalisateur de Snowden (2016). Même si les situations sont différentes, Jean-Marie Cavada estime que Keywan Karimi a besoin à son tour d’un soutien officiel de l’Union europénne. « Il est probable que nous lancions au Parlement européen une pétition accompagnée d’un texte solennel, en direction du gouvernement iranien », annonce Jean-Marie Cavada. Il y a trois ans, dit-il, cet appel de l’Europe n’aurait eu aucun impact. Mais la situation a changé depuis les accords de Vienne de 2015, lesquels ont abouti au compromis sur le nucléaire iranien. « Dans cette période de  dégel, nous avons peut-être une chance d’être entendus. L’Iran ne peut pas à la fois vouloir commercer avec le monde libre, et se livrer à un châtiment médiéval sur un artiste qui décrit la société iranienne dans ses films », déclare au Monde Jean-Marie Cavada.