Un « farnatchi »  alimente une chaudière traditionnelle dans un hammam. | Jessica Bordeau/GERES

« On ne construit pas une ville sans hammam. Est-ce qu’on peut vivre sans boulangerie ? Non ! C’est la même chose », s’exclame Khadija Kadiri, vice-présidente de l’association des propriétaires de hammams. Elle gère l’établissement Rja Fellah, à Rabat, l’un des cinq premiers à s’être engagé dans le programme « Hammams durables ». Lancée en 2014 par deux associations, l’une française et l’autre marocaine, l’initiative vise à réduire la consommation d’eau et de bois de chauffe en modernisant les bains maures traditionnels. Le Groupe Energies renouvelables, environnement et solidarité (Geres) et Energie, Solidarité et Environnement (EnSen) ont pu démarrer leurs projets de rénovation de hammams grâce au financement du Fonds français pour l’environnement mondial, qui a apporté un million d’euros.

La plupart des Marocains continuent de se rendre régulièrement au hammam. Autrefois seul lieu d’hygiène, les bains publics sont encore indispensables pour les ménages qui ne disposent pas encore de salle de bains à leur domicile. Et malgré l’avancée des « commodités » modernes dans les villes, la tradition du hammam est restée vivace. Il est de coutume de s’y rendre une fois par semaine, surtout pour les femmes, qui y trouvent un espace d’intimité, maintes fois visité par les auteurs et cinéastes. Ce cadre de peinture orientaliste est pourtant menacé par la hausse des prix du bois de chauffe, de plus en rare à cause de la déforestation et la surconsommation d’eau (120 litres en moyenne par usager) qui alourdit le coût de fonctionnement.

« La base de la vie du quartier »

« Le hammam, la mosquée et l’épicerie sont des repères. C’est la base de la vie du quartier », revendique fièrement Moha, un riverain du hammam Taj à Casablanca. S’il existe des hammams de luxe proposant des prestations qui n’ont rien à envier aux spas, celui-ci est, à l’instar de la plupart des 12 000 établissements recensés par le ministère de l’artisanat, un hammam populaire. Ici, le ticket d’entrée coûte 12 dirhams (1,1 euro).

Le gouvernement essaie de mieux en encadrer l’activité des hammams à travers un programme de labellisation s’intéressant aux conditions d’hygiène, de travail des 200 000 employés du secteur, mais aussi à l’efficacité énergétique et environnementale.

Car le maintien de cette tradition marocaine a un coût très élevé. Ces bains publics contribuent à l’épuisement des ressources en eau et en bois, utilisé pour le chauffage. Il faudrait, selon le Geres, une tonne de bois par jour pour faire fonctionner un hammam de taille moyenne. L’ensemble du parc de bains publics traditionnels produit à lui seul plus de 3 millions de tonnes de CO2 chaque année. La combustion du bois comporte aussi des risques sanitaires, surtout pour le farnatchi, l’employé chargé d’alimenter les chaudières traditionnelles.

C’est surtout ce coût environnemental qui a été mis en avant lors de la COP22 à Marrakech, qui a accordé son label au projet « Hammams durables au Maroc ».

A ce jour seuls cinq hammams ont été rénovés dans le royaume, mais le chiffre devrait doubler d’ici la fin de l’année 2017. Les associations porteuses du programme espèrent atteindre 40 établissements avant la fin du programme en 2018. Le financement est le premier frein, même si le travail de sensibilisation consiste à souligner la rentabilité des investissements de modernisation. Car, tout en réduisant les conséquences environnementales néfastes et en améliorant la rentabilité de ces commerces, la finalité est de préserver une pratique sociale qui crée du lien dans les quartiers.

Grignons d’olive comme combustible

Au hammam Masmoudi, propriété de la famille Khaldoun, on a pris cette idée de transformation énergétique très au sérieux. L’établissement paraît banal avec ses enfilades de salles de plus en plus chaudes, son dallage blanc et ses murs recouverts de carreaux en faïence impeccable. Dans les pièces de chaleur croissante, des doubles robinets d’eau chaude et froide permettent aux usagers de doser la température de leur bain. Sauf qu’ici tout a été repensé, grâce à Al-Mahdi Khaldoun, l’ingénieur de la famille, diplômé de l’Ecole polytechnique de Lausanne.

Jessica Bordeau / GERES

Dans la configuration traditionnelle, la chaudière à bois permet de chauffer l’eau et les salles en même temps par évaporation, mais avec énormément de pertes d’énergie. Désormais, grâce à la production des panneaux photovoltaïques, l’abondant soleil de Marrakech sert à préchauffer l’eau qui atteint une température de 25-30 °C. Une chaudière à haute performance énergétique permet d’atteindre les 60 °C de l’eau du bain.

L’innovation la plus ingénieuse ne se voit pas, puisqu’elle se trouve sous les pieds des baigneurs. Un plancher chauffant réalisé grâce à un labyrinthe de tuyaux sous les dalles. Dans les hammams rénovés, la consommation de bois a chuté à 200-250 kg quotidiens.

Un pareil investissement à un coût, qui peut néanmoins être amorti en moins de cinq ans grâce aux économies réalisées. De plus, le Geres consent des prêts.

Au hammam Masmoudi, on a poussé la logique environnementale jusqu’à changer de combustible en optant pour des déchets organiques, des grignons d’olives au pouvoir calorifique plus important. Pour cette famille patricienne de Marrakech, l’intérêt de moderniser l’appareil productif a vite été compris, reste à convaincre les milliers d’autres gérants d’établissements.

A l’occasion de la COP22 qui se déroule à Marrakech du 7 au 18 novembre, Le Monde Afrique a réalisé la série Traversée d’une Afrique bientôt électrique en allant voir, du Kenya au Maroc, en passant par le Burkina, la Côte d’Ivoire, le Cameroun ou le Sénégal, l’effort d’électrification du continent.

Le sommaire de notre série Traversée d’une Afrique bientôt électrique

A l’occasion de la COP22 qui s’est déroulée à Marrakech du 7 au 18 novembre, Le Monde Afrique a réalisé une série d’une vingtaine de reportages qui vous emmèneront au Kenya, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Sénégal et au Maroc pour découvrir l’impact d’un effort d’électrification du continent sans précédent.