Cliché de mai 2012 montrant l’ancien chef militaire des Serbes de Bosnie lors de sa première comparution devant le Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie à La Haye. | TOUSSAINT KLUITERS / AFP

Au tout début de son procès devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) en mai 2012, Ratko Mladic voulait comparaître en uniforme, ses étoiles de général à l’épaule. Quatre ans et 370 témoins plus tard, l’ex chef militaire des Serbes de Bosnie « se présente en officier peu efficace », a fustigé le procureur Alan Tieger au premier jour de son réquisitoire, lundi 5 décembre. Un général qui aurait ordonné les opérations militaires, mais tout ignoré du massacre de civils, malgré les alertes répétées de la communauté internationale et des médias. « Le nettoyage ethnique n’était pas la conséquence de la guerre, mais son objectif », a attaqué M. Tieger.

L’ex chef militaire, choisi parmi les officiers de Belgrade par Radovan Karadzic en mai 1992, rejette sur ses commandants de corps et sur les chefs politiques bosno-serbes, la responsabilité des crimes dont il est accusé : génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre pour l’épuration ethnique des villes et villages de Bosnie-Herzégovine, les 44 mois de siège de Sarajevo, bombardée, soumise aux snipers et affamée ; le massacre de Srebrenica et la prise en otage de personnels des Nations unies, utilisés comme boucliers humains pour empêcher toute intervention de l’OTAN, alors que les chefs bosno-serbes préparaient l’opération visant à reprendre les enclaves de Zepa et Srebrenica, déclarées « zones protégées » par l’ONU. Là, en juillet 1994, seront massacrés plus de 7 000 musulmans, et déportés par autobus leurs femmes et leurs enfants.

M. Mladic a non seulement mis en œuvre cette politique d’épuration ethnique, mais a de plus pris part à sa planification au sein d’une « entreprise criminelle commune » à laquelle « participaient les autorités serbes, y compris Milosevic », l’ancien président serbe, offrant l’appui de son armée et de la terrible sécurité d’Etat, rappelle le procureur.

« Personnage clé de la route vers l’enfer »

Dans le box des accusés, l’officier Ratko Mladic respire la colère, visage rougi, sourcils frondés, dès que le procureur évoque le massacre de civils. Mais l’approuve d’un « affirmatif » de la tête, dès qu’il parle de ses prises militaires. Ainsi, lorsque Alan Tieger évoque le « bon commandant », choisi pour prendre la tête de l’armée qui allait mettre la Bosnie à genoux et modifier la composition ethnique de la Bosnie-Herzégovine.

Le président des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic, avait dit que l’indépendance était « une autoroute vers l’enfer et la souffrance », et « Mladic était un personnage clé de cette route vers l’enfer », assure le magistrat américain. Ils attendaient « l’erreur » du président de la Bosnie-Herzégovine, Alija Izetbegovic pour « mettre en œuvre le plan » : ce sera à l’indépendance du pays en mars 1992.

Deux mois plus tard, l’Assemblée bosno-serbe adoptait les six objectifs stratégiques que M. Mladic compile en quelques formules dans son journal de guerre, saisi par la police serbe dans son appartement de Belgrade et devenu pièce à conviction du procureur : « Se séparer des Croates et des Musulmans pour toujours », y écrit-il. « Une partie de Sarajevo doit être à nous », il faut « avoir un passage vers la mer » et « établir un lien avec la Serbie sur la Drina », le fleuve qui marque la frontière entre la Serbie et la Bosnie.

« Les gens et les peuples ne sont pas des pions ni des clés dans une poche qui peuvent être déplacés d’ici à là. C’est quelque chose de facile à dire, mais difficile à faire », disait-il devant l’Assemblée des Serbes de Bosnie en 1992. Après quatre ans de guerre et près de 100 000 morts, les Serbes de Bosnie règnent sur leur propre entité, au sein d’une Bosnie-Herzégovine ingouvernable. « Qui détient les territoires peut dessiner la carte », aurait dit Mladic lors de négociations.

« En 30 secondes, tout est dit »

L’accusé balaye des yeux la galerie publique, dont il est séparé d’une vitre pare-balles. Derrière, les « Mères de Srebrenica » sont présentes, comme elles l’ont été à chaque fois que ce tribunal, créé par l’ONU en 1993, a jugé les auteurs du massacre de juillet 1994. Face à un accusé qui, par la bouche de ses avocats, se présente aujourd’hui comme le défenseur des musulmans de Bosnie, le procureur brandit ses discours devant l’Assemblée bosno-serbe, les interceptions téléphoniques de conversations avec ses commandants, les vidéos. Autant de pièces à conviction qui prouvent des plans de M. Mladic, lance le procureur aux trois juges.

« En 30 secondes, tout est dit », dit-il avant de diffuser une vidéo de l’accusé à l’hôtel Fontana, lançant un ultimatum à Nesib Mandic, le représentant des civils de Srebrenica, terrorisé. Au major Van Duijn, membre du bataillon de casques bleus néerlandais censé protéger l’enclave de Srebrenica, M. Mladic aurait assuré que « dans dix ans, l’armée serbe sera aux Pays-Bas pour vous protéger des musulmans et des autres », menaçant de tuer son interprète, lorsque l’officier tente d’empêcher le tri, femmes d’un côté, hommes de l’autre.

C’est menottes aux poignets que Ratko Mladic avait rejoint la prison de La Haye au printemps 2011, passablement affaibli après seize années de fuite et deux attaques cérébrales. Le réquisitoire du procureur se poursuivra jusqu’à mercredi, avant de laisser la parole à la défense. Ratko Mladic risque la perpétuité.