Des policiers contrôlant les plaques d’immatriculation d’une voiture, à Paris, le 6 décembre. | JACQUES DEMARTHON / AFP

C’est devenu une habitude, chaque pic de pollution dans la capitale apporte désormais son lot de tergiversations sur l’opportunité de mettre en place de la circulation alternée. Le début de l’épisode de pollution aux particules fines de cet hiver remonte au mercredi 30 novembre, quand le premier seuil (50 microgrammes par mètre cube) a été dépassé. Depuis, une réunion dite « d’expertise » se tient à la préfecture de police tous les jours, en présence d’un collège d’experts (Airparif, Météo France, la DRIEE et l’ARS).

C’est le préfet de police, par arrêté, qui décide de la mise en place de mesures comme la circulation alternée. Depuis avril 2015 et les tensions entre la maire de Paris et la ministre de l’environnement, les élus du territoire participent à cette réunion, mais ils n’ont pas de pouvoir décisionnaire. Il s’agit du conseil régional et les conseils départementaux d’Ile-de-France, de la métropole du Grand Paris et de la ville de Paris.

Pour enrayer cet épisode de pollution, le préfet, Michel Cadot, a décidé la mise en place des mesures de restrictions dès le 2 décembre. Mais il a fallu attendre le mardi 6 décembre pour que la circulation alternée soit instaurée, puis renouvelée le mercredi. Pourquoi n’a-t-elle pas été mise en place plus tôt ?

Des dissonances entre Paris et l’Ile-de-France

Depuis le début du pic de pollution, la mairie de Paris a été la seule collectivité à demander à la préfecture la mise en place de la circulation alternée, sans jamais obtenir gain de cause, malgré ses demandes quotidiennes, engagées dès le 2 décembre.

La maire, Anne Hidalgo, avait même pris les devants dès le 30 novembre, en rendant les stationnements résidentiels gratuits. Elle a également entamé une campagne de communication sur les réseaux sociaux pour alerter sur les effets néfastes de la pollution, et pour continuer de réclamer la circulation alternée.

Egalement présente aux réunions d’expertise, la région Ile-de-France s’est, elle, d’abord alignée sur la décision de la préfecture qui refusait la circulation alternée. Ce qu’a dénoncé Christophe Najdovski, adjoint de Paris chargé des transports et de l’espace public. La présidente (LR) de région, Valérie Pécresse, s’en est défendue lundi 5 décembre. Sans revenir sur la position de la région lors des réunions d’expertise, elle a simplement indiqué être favorable à « une circulation alternée automatique dès que le niveau de pollution l’exige ».

Pourquoi cette dissonance entre la ville et la région ? « La région a de vraies ambitions pour la réduction de la pollution », défend Sébastien Vray, fondateur et porte-parole de l’association Respire pour la prévention et l’amélioration de la qualité de l’air. « Mais elle a du mal à s’afficher sur la même ligne que la mairie, qui est de gauche », analyse-t-il. Serait-ce simplement le fait du jeu politique ?

Pour M. Najdovski, ces plusieurs jours « de discussions et de palabres », comme il les qualifie, sont également dus à « la frilosité des autorités à prendre des mesures qui peuvent paraître coercitives auprès des usagers ». Interrogée par Le Monde, la préfecture de police n’a pas souhaité répondre. La région Ile-de-France n’a, quant à elle, pas donné suite à nos appels.

Mieux reconnaître l’enjeu de sécurité publique

La lenteur des pouvoirs publics à agir lors d’un pic de pollution relève d’un « manque de considération pour le fait que ce soit un enjeu de santé publique », estime M. Vray. Lorsqu’il s’agit, par exemple, d’une épidémie comme la grippe aviaire, « les mesures sont appliquées plus rapidement », affirme-t-il. Du côté de la préfecture de police « on n’est pas habitués à communiquer en amont, expliquer aux Parisiens, prévoir des solutions de rechange », constate-t-il, avant de conseiller :

« Il faut que la grogne monte dans l’opinion, que les études sur la santé et la pollution de l’air soient davantage mises en avant. »

La corrélation entre pollution et mortalité n’est établie que depuis quelques années, rappelle Bernard Jomier, médecin généraliste et adjoint de Paris chargé de la santé. En 2013, il a signé l’appel des médecins de la capitale « Pollution de l’air et santé : il est temps d’agir ». Il explique :

« Il y a trois ou quatre ans, nous évaluions à 30 000 par an le nombre de décès dus à la pollution, ce qui était nettement sous-évalué. Aujourd’hui nous estimons ce nombre à 42 000. C’est la troisième cause de mortalité en France. »

L’enjeu est donc de communiquer davantage auprès des usagers afin de créer une nouvelle habitude, comme ce fut le cas pour la cigarette dans les lieux publics ou le port de la ceinture de sécurité en voiture.

La circulation alternée est-il efficace quand elle est si tardive ?

Mettre en place la circulation alternée une semaine après le début d’un épisode de pollution est-il efficace ? « C’est mieux que rien, défend M. Jomier. Parce que nous n’avons pas encore d’autres outils, comme les vignettes Crit’Air. » Elles seront obligatoires à partir du 16 janvier.

Sébastien Vray répond également par l’affirmative, « parce que nous sommes encore en pic de pollution. Ce n’est pas la solution, mais c’est une solution pour enrayer la pollution générée par les transports », analyse-t-il, avant de préciser que « la circulation alternée fait chuter de près de 40 % la pollution aux abords des axes routiers ». Pour le fondateur de Respire, il faut continuer à appliquer cette mesure, même avec du retard, « parce qu’elle doit devenir une habitude ».

« Les pouvoirs publics ont peur d’affronter la question des changements de comportements, abonde Bernard Jomier, mais ils doivent accepter que pour des périodes transitoires, leurs mesures soient impopulaires. Il faut avoir du courage. »