John Key est premier ministre de Nouvelle-Zélande depuis 2008. | kelvinhu / Wikimedia

La Nouvelle-Zélande n’en finit plus d’être secouée. Trois semaines après un tremblement de terre de magnitude 7,8, c’est un nouveau séisme, d’ordre politique cette fois, qui est venu ébranler l’île, lundi 5 décembre. L’homme-clé du pays, le premier ministre John Key, a annoncé sa démission après huit années à la tête de la nation, et une popularité jamais entamée. « Cela me semble être le bon moment pour partir », a simplement expliqué le chef du parti national depuis dix ans, qui était pourtant quasi-assuré de remporter un quatrième mandat en 2017.

Ce choc, que nul politologue ni sismologue n’avait anticipé, a réussi à tirer de leur torpeur les Néo-Zélandais, accoutumés à cette routine politique bien huilée et rassérénante. « Nom de dieu, ce n’est pas comme ça que ça doit se passer », titrait ainsi lundi l’éditorialiste du site The Spinoff, Toby Manhire, qui voit dans l’acte du libéral une transgression de l’une des règles de base de la politique : on ne quitte jamais de soi-même un poste. « Il est difficile de décrire à quel point ce qui vient de se produire est tout simplement hors du commun rares sont les dirigeants qui ont choisi de prendre cette voie de sortie », conclut le journaliste.

« Même à la tête du pays, il était l’un des nôtres »

En quelques heures, la page Facebook de John Key s’est transformée en un mausolée où de nombreux citoyens sont venus exprimer leur déception après cet « hara-kiri politique incompréhensible ». Partout, ce ne sont que remerciements et mots de sympathie, témoignages de « profonde tristesse » et encouragements pour la suite de la carrière de ce « dirigeant merveilleux », du « premier ministre simple et proche des gens », de « celui qui a redonné à la Nouvelle-Zélande confiance en elle-même », ou encore du « Dr Feelgood du pays ». « Vous avez été un dirigeant calme, imperturbable, à la tête d’un parti stable et avec des objectifs clairs. Je n’ai jamais été de votre bord politique, mais je sais reconnaître du bon boulot, surtout à un poste difficile », écrit ainsi Rachel Donaldson, vendeuse dans une entreprise textile. Si beaucoup s’interrogent sur cette décision, tous respectent le choix du premier ministre, qui a expliqué vouloir « accorder plus de temps à sa famille ».

Pour Raymond Miller, politologue à l’université d’Auckland, John Key « restera dans la postérité comme le premier ministre le plus populaire de l’histoire moderne du pays ». Un succès qui s’explique selon lui par « sa normalité, sa capacité à communiquer facilement avec les gens, à être sympathique ». John Key, qui a pourtant toujours dit qu’il « ne s’était jamais senti fait pour une carrière politique », a réussi à s’imposer comme une « personnalité affable, d’une grande sagacité politique, qui a été le moteur de son parti et de son pays pendant de longues années », analyse à l’unisson le Dr Jon Johansson, professeur en sciences politiques à l’université Victoria de Wellington. « Même à la tête du pays, il était l’un des nôtres », résume cet observateur de la scène politique néo-zélandaise.

« Monsieur Teflon »

Il n’était pas rare en effet de croiser le premier ministre dans les rassemblements populaires, sur des marchés ou en visite dans des entreprises florissantes du pays. À Christchurch, sa ville natale dévastée en 2011 par un violent séisme qui avait fait 185 morts, on l’avait croisé il y a quelques mois encore dans une rue des rues piétonnes, une poignée de journalistes à ses côtés. Fidèle à sa promesse faite au lendemain du drame de « faire revivre » l’agglomération, il annonçait le déblocage de nouveaux fonds de réhabilitation pour cette ville que l’Etat a dû porter à bout de bras pour reconstruire plus de 80 % du centre. À une centaine de mètres, deux policiers riaient d’entendre les touristes s’enquérir de l’identité de la silhouette en costume : « Lui ? On ne le connaît pas. Ah si, c’est notre premier ministre. Mais comme il ne fait aucune polémique, on a tendance à oublier… ». Une réputation qui lui avait valu le surnom de « Monsieur Teflon », sur qui toutes les controverses glissent.

Il y avait pourtant eu quelques entailles dans le mythe. La reconstruction de Christchurch, tout d’abord, qui n’allait pas assez vite au goût de nombre de ses habitants, malgré un budget de plus de 50 milliards de dollars néo-zélandais (33 milliards d’euros) en cinq ans. Plus récemment, il y avait surtout eu le camouflet du référendum sur le drapeau national. Si John Key avait fait campagne pour le changement en défendant l’oriflamme ornée de la fougère des All Blacks, l’équipe nationale de rugby, les Néo-Zélandais avaient choisi de garder leur Union Jack orné de la croix du Sud, pourtant qualifié de « relique coloniale » par le premier ministre.

Depuis plusieurs mois, John Key, toujours adepte de l’autocritique, multipliait les blagues sur le désamour de ses compatriotes, déplorant les files qui « deviennent de plus en plus courtes et clairsemées quand il s’agit de prendre un selfie avec moi ». Un constat qui ne trouvait pourtant nul écho dans les sondages d’opinion, qui donnaient toujours une confortable majorité à l’élu libéral de 55 ans seulement, à qui tous promettaient de longues années à la tête du pays.

Lassitude et guerre fratricide

Alors comment expliquer ce départ d’une situation si enviable ? Certains médias néo-zélandais croient déceler une certaine lassitude dans l’exercice de la fonction, incarnée notamment par le choix du nouveau président américain, Donald Trump, de se retirer de l’accord de partenariat transpacifique, dont John Key avait été l’un des fervents artisans. Le premier ministre kiwi avait d’ailleurs décliné récemment un appel téléphonique de son homologue américain, prétextant « être trop occupé par les dégâts du dernier tremblement de terre pour discuter », illustrant une nouvelle fois sa préférence pour l’action plutôt que pour la diplomatie.

D’autres y lisent encore une certaine usure du petit jeu politique, notamment après un épisode fratricide au sein de son parti lors du choix d’un candidat pour les législatives dans la circonscription de Mt Roskill. John Key avait lâché à la dernière minute le candidat Parmjeet Parmar, après des pressions d’une frange de son parti. Un épisode qui lui avait valu des critiques, et le retour en force d’un surnom qu’il avait gagné lorsqu’il multipliait les licenciements au début de sa carrière dans le privé, the « smiling assassin » (le « tueur souriant »). En clin d’œil, John Key a d’ailleurs souligné lundi lors de sa conférence de presse qu’il « avait dû au cours de sa carrière poignarder plusieurs personnes, il est temps de me poignarder moi-même ».

De son côté, le site parodique australien The Betoota advocate n’a pas manqué de faire un parallèle entre le destin de John Key et celui de l’équipe nationale de rugby, les légendaires All Blacks. Alors que tous les observateurs qualifiaient le collectif, à la tête d’un record de dix-huit victoires consécutives, de « meilleure équipe de l’histoire du pays », les demi-dieux du pays étaient tombés lourdement de leur piédestal le mois dernier, en s’inclinant face à l’Irlande. « Et si John Key avait tout simplement voulu se retirer avant de rencontrer sa propre équipe d’Irlande ? »

Nouvelle-Zélande : démission surprise du premier ministre
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