PDG du groupe hôtelier ­AccorHotels, Sébastien Bazin s’est également lancé dans le shadowing en désignant un comité exécutif « de l’ombre » composé de 13 salariés de moins de 35 ans. Il revient ici, plus largement, sur sa vision de l’intégration des jeunes dans les grands groupes, dans un contexte où seuls 44 % des diplômés de grandes écoles affirment vouloir en rejoindre un, d’après un sondage Ipsos réalisé en janvier 2016 pour le Boston Consulting Group et la Conférence des grandes écoles.

Ressentez-vous un désamour des jeunes diplômés de grandes écoles à l’endroit des grands groupes ?

Plus que de désamour, je parlerai d’incompréhension de ce que les grands groupes feront demain, alimentée par une incompréhension de ce qu’ils n’ont pas su faire hier. Cela remonte aux années 1960. Ces groupes ont été extrêmement hiérarchisés, le niveau d’études pesait très lourd dans cette hiérarchie, et on n’écoutait pas vos idées si vous n’aviez pas vingt ans de maison. Avec, en outre, peu de possibilités de mobilité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les grands groupes acceptent désormais le multigénérationnel, valorisent l’intelligence collective, tentent de casser les barrières, s’essaient à des organisations horizontales. Ce n’est pas parfait partout, mais cela se met en place.

Selon vous, les jeunes auraient un train de retard ?

En tout cas, ils regardent les grandes entreprises à travers un prisme périmé. Mais c’est à nous, grandes entreprises, de leur expliquer que notre monde bouge, qu’on accepte ceux qui ont fait moins d’études mais qui apportent des compétences rares – notamment ceux qui savent coder, mais aussi ceux qui manifestent une intelligence fine. Ils peuvent aujourd’hui obtenir une rémunération équivalente à celui qui a fait de brillantes études.

Que doit faire une grande entreprise pour attirer et garder les jeunes ?

Leur donner du pouvoir. J’ai bien dit du pouvoir pas le pouvoir ! Pour cela, il faut donner des éléments de preuve. C’est de là qu’est née l’idée du shadow cabinet, un « comité exécutif de l’ombre » composé de treize personnes de moins de 35 ans. Elles ont accès aux mêmes informations que le vrai comité exécutif et doivent répondre aux mêmes questions. Mais elles le font avec leur fraîcheur, leur jeunesse et leur lecture du monde de demain, qui est très différente de la mienne. Je ne prends plus aucune décision dans ce groupe sans avoir préalablement entendu et écouté ce que me disent ces treize personnes : 90 % des grandes sociétés qui se sont créées dans le numérique ont été imaginées par des gens de moins de 35 ans. Alors on peut trouver injuste que j’accorde tant d’importance aux moins de 35 ans, qui, par ailleurs, représentent 65 % de nos collaborateurs, mais les faits sont têtus : les idées viennent de là.

En termes de communication, c’est également un joli coup…

Détrompez-vous ! Vous savez, en interne, ça n’a pas été simple. Outre les moins de 35 ans qui n’ont pas été retenus dans le shadow cabinet et auraient voulu l’être, les 35-60 ans me disent : « C’est injuste, moi aussi je suis jeune même si j’ai plus de 35 ans, et je suis capable de réfléchir comme les autres ! ».

Afin de comprendre le monde de demain pour faire les bons choix aujourd’hui, « Le Monde » vous donne rendez-vous à O21/s’orienter au XXIe siècle, à Lille (6 et 7 janvier 2017), Cenon (10 et 11 février), Villeurbanne (15 et 16 février) et Paris (4 et 5 mars). Avec des témoignages vidéo de 35 personnalités emblématiques du monde qui vient, dont Sébastien Bazin.