Pablo Bisoglio

Quand on a la quasi-certitude de s’écraser, autant profiter du paysage. » Raison pour laquelle Léo, 25 ans, prend son temps. Bac ES en poche, il s’était, dans un premier temps, lancé dans des études d’administration économique et sociale (AES). Un choix « sans passion ni dégoût » mais sécurisant, « pour faire plaisir » à ses parents. Après s’être aperçu qu’il ne « pourrait pas aller loin » sans plus de motivation, il a choisi de prendre le virage du « fun » en postulant dans une école de cinéma où il est aujourd’hui un étudiant heureux : « J’ai conscience que réalisateur n’est pas un métier, tout juste une passion qu’on a parfois la chance d’exercer si un producteur parie sur vous. »

Première intention

Faut-il privilégier la stabilité financière et le marché du travail ou bien ses aspirations et son envie de liberté ? Comme Léo, les dizaines de jeunes lecteurs qui ont répondu à l’appel à témoignages que nous avons lancé sur Le Monde.fr font état de ce tiraillement entre fun et safe, entre une orientation vers un métier sûr, balisé, et celle vers une vie professionnelle en apparence passionnante mais plus incertaine. Ils font aussi parfois état de ce déclic − une rencontre, un voyage, un burn-out… – qui les a fait passer de l’un à l’autre.

Mais, en première intention, les déterminants du choix se veulent rationnels : on cherche la sécurité de l’emploi, on identifie les secteurs porteurs… La lancinante persistance d’un taux de chômage des jeunes élevé, sur fond de crise économique, ne laisse pas indifférents les étudiants et leur famille : un sondage Harris Interactive de mars 2016 montrait même que seulement 16 % des 18-25 ans estiment qu’il est facile de trouver un emploi. Ont-ils encore le droit, dans cette situation, de prendre des risques dans leur orientation et leur métier, d’écouter leurs envies ?

Poussée par des parents « trop soucieux de [son] avenir », Armelle, 30 ans, raconte ainsi avoir cherché « l’emploi safe »,sans doute « trop safe »,en enchaînant une école d’ingénieurs puis un master en école de commerce – martingale parfaite du jeune diplômé. Aujourd’hui dans la direction financière d’une grande entreprise française, elle gagne bien sa vie et ne pourra « jamais être virée, à moins d’insulter son patron ». Mais elle craint une « carrière longue et peu stimulante ». Un peu comme Mathieu, 25 ans, auditeur financier à Lyon, qui a choisi de « jouer le jeu de l’entreprise » traditionnelle plutôt que de « défier l’ordre établi et de risquer la précarité ». Il n’attend « rien » de cette entreprise, si ce n’est qu’elle lui « offre un niveau de vie au moins égal à celui de [ses] parents ». Et espère que le fun de sa vie personnelle compensera.

Naturothérapie

« L’aspect “sûr” ou non des métiers est plus prégnant qu’avant dans les questions que nous posent les jeunes »,confirme Clémence Nommé, psychologue au Centre d’orientation et d’examens psychologiques (Corep) de Paris. « Ils sont à la fois inquiets des débouchés et ont l’impression qu’ils vont rater leur vie s’ils ne prennent pas la bonne voie, explique-t-elle. Mais ils sont en même temps assez conscients qu’ils vont devoir faire preuve de souplesse dans leur vie professionnelle, changer de ­métier, s’adapter. »

« Mes revenus ont été divisés par 5 environ, mais mon sourire multiplié par 500 au moins. » Pierre, 31 ans

« Soyez qui vous êtes ! Faites ce qui vous plaît ! », conseille, dans ce contexte mouvant, Pierre, 31 ans. Diplômé de l’Ecole des mines de Douai, il lui aura fallu six ans dans le monde de l’industrie et un burn-out pour prendre du recul, tout plaquer et, finalement, ouvrir son cabinet de naturothérapie. « Mes revenus ont été divisés par 5 environ, mais mon sourire multiplié par 500 au moins », explique-t-il. « Travailler dans une entreprise est le meilleur moyen de tuer sa créativité »,estime également Tiphaine, graphiste de 26 ans qui a choisi de devenir autoentrepreneuse après deux ans au sein d’une entreprise. « Certains mois sont meilleurs que d’autres et je travaille rarement moins de onze heures par jour, mais je suis bien plus épanouie dans mon boulot », analyse-t-elle.

De fait, estime Nicolas Galita, spécialiste en recrutement et auteur du blog Dessine-toi un emploi, « la possibilité de se réaliser pleinement dans un métier est inférieure dans le ­modèle salarié ». Un boulevard pour l’entrepreneuriat, même s’il « ne faut pas négliger les petites entreprises qui permettent de faire plein de choses ». Aujourd’hui, si 44 % des diplômés des grandes écoles veulent travailler dans un grand groupe, ils sont 35 % à vouloir créer leur entreprise et autant à vouloir travailler dans une petite structure. « Grande boîte, petite boîte, entrepreneuriat, etc. : le plus important est de ne pas se laisser aspirer par le modèle des autres, de prendre le temps de se poser et de s’interroger sur ce qu’on veut vraiment »,­ conseille Nicolas Galita.

Quant à ceux qui ont encore besoin d’un peu de temps pour découvrir leur fun, ce qui leur donnera envie de se dépasser et de prendre des risques, Nicolas Galita conseille de « choisir la voie qui ferme le moins de portes ». En multipliant les expériences et les rencontres pour se connaître. Et en sortir rapidement.

Participez à O21, s’Orienter au 21e siècle

O21 vous propose quatre rendez-vous – à Lille (6 et 7 janvier 2017, au Nouveau Siècle), à Cenon (dans l’agglomération bordelaise, les 10 et 11 février au Rocher de Palmer), à Villeurbanne (les 15 et 16 février) et à Paris (4 et 5 mars, à la Cité des sciences et de l’industrie). Deux jours pendant lesquels lycéens et étudiants pourront échanger avec des dizaines d’acteurs locaux innovants, qu’ils soient de l’enseignement supérieur, du monde de l’entreprise ou des start-up. Vous pouvez vous inscrire à l’édition lilloise en suivant ce lien.

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Seront également diffusés, à cette occasion, des entretiens en vidéo réalisés avec trente-cinq personnalités de 19 à 85 ans qui ont accepté de traduire en conseils d’orientation pour les 16-25 ans leur vision du futur.

Placé sous le haut patronage du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, O21 est également soutenu, au niveau national, par quatre établissements d’enseignement supérieur (Audencia, l’Essec, l’Epitech, et l’alliance Grenoble école de managementEM Lyon). Localement, l’événement est porté par les conseils régionaux des Hauts de France, de Nouvelle Aquitaine et d’Ile-de-France, les villes de Cenon et de Villeurbanne et des établissements d’enseignement supérieur.