Enlevé à l’âge de 9 ans, une nuit de 1998, Douglas Olum est resté six mois au sein de l’Armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army, LRA), dans le nord de l’Ouganda.

Fondateur de l’Association for Ex-LRA Abductees and Survivors, qui regroupe d’anciens enfants soldats de la rébellion, il revient depuis Gulu, la principale ville du nord de l’Ouganda, sur son passé et commente le procès de l’ex-enfant soldat Dominic Ongwen qui s’est ouvert mardi 6 décembre à La Haye devant la Cour pénale internationale (CPI).

Quelles étaient vos activités au sein de la LRA ?

Douglas Olum Je suis principalement resté dans le nord de l’Ouganda, dans ce qu’on appelait la « Baie des malades », un groupe constitué de combattants blessés ou malades. Nous étions plus d’une centaine, et nous devions essentiellement trouver de la nourriture, en nous déplaçant toujours à pied. Nous alternions avec des phases de repos et de prières, qui pouvaient durer jusqu’à deux semaines. Puis, grâce à Dieu, six mois plus tard, j’ai réussi à m’enfuir.

Quel était votre état d’esprit pendant cette période ?

Du fait de notre traitement, nous n’étions pas trop abattus, mais il y avait la menace pesante et constante de se faire tuer si l’on tentait de s’évader. Les rebelles nous motivaient avec des objectifs et des récompenses pour certaines de nos missions. A quelques moments, j’ai eu des périodes où je trouvais cette vie agréable. Mais j’ai perdu de nombreux amis, qui ont été tués au combat. J’ai été chanceux, car quand notre camp était attaqué, j’étais la plupart du temps en mission ailleurs et j’ai ainsi évité la mort. La seule attaque que j’ai connue est celle qui m’a permis de m’échapper, six mois après mon enlèvement.

Avez-vous eu à enlever d’autres personnes ?

Bien sûr, nous l’avons fait, après quelques semaines. Mais d’abord, les trois premiers jours, nous avons eu une épreuve dite de « présentation ». Ils nous font tuer quelqu’un, ce que nous avons fait. Il s’agissait d’un homme, capturé par un petit groupe de notre camp. On nous a dit qu’il s’agissait de quelqu’un qui s’était enfui de la LRA.

Connaissiez-vous Dominic Ongwen ?

Je ne l’ai jamais rencontré, mais j’ai entendu parler de lui comme l’un des commandants les plus cruels et froids. Il a un passé terrible derrière lui, mais j’ai été marqué par d’autres commandants, comme le capitaine Thomas Kwoyello, aujourd’hui en prison.

Que pensez-vous des déclarations d’Ongwen, qui s’est présenté en victime de la LRA, en tant qu’ancien enfant soldat ?

Il n’est pas crédible. Il pourrait l’être s’il avait été enlevé alors qu’il était bébé. Mais quand j’ai été pris par la LRA, même si j’avais 9 ans, j’étais capable de différencier le bien et le mal et je savais que tuer était une mauvaise chose.

L’ancien chef de guerre de la LRA Dominic Ongwen plaide non coupable
Durée : 01:10

Comment son procès est-il suivi dans la région ?

Un certain nombre de personnes s’intéresse à l’affaire et des vidéos circulent autour des villages où les crimes d’Ongwen ont eu lieu. En plus, l’ouverture du procès a été retransmise dans six endroits différents pour qu’on puisse la suivre. Mais la majorité des gens à Gulu mènent leur vie quotidienne comme si de rien n’était.

J’ai parlé à certaines personnes qui avaient connu Ongwen personnellement, et certaines réclamaient qu’on le libère pour qu’il retourne en Ouganda. S’il revient dans sa région, il pourra voir les conséquences de ses actes et se sentira coupable, alors qu’en prison à La Haye, il aura accès à un certain confort et ça ne changera rien à la vie des victimes.

Auriez-vous préféré que le procès ait lieu à Gulu, comme cela avait été un temps envisagé ?

Cela aurait été préférable, tant pour les victimes que pour les proches et la famille d’Ongwen. Je ne crois pas vraiment la CPI quand elle explique que cela n’a pas pu se faire pour des raisons financières.

Les Ougandais ont-ils confiance en la CPI pour mener ce procès ? Le président Museveni s’est montré très critique à son égard…

L’opinion des Ougandais n’est pas constituée d’un bloc. Certains, surtout parmi les partisans du président, n’accordent aucun crédit à la CPI. Mais j’ai l’impression que la majorité lui fait quand même confiance, surtout concernant les derniers événements, dans l’ouest du pays [des tensions entre le gouvernement et le royaume du Rwenzururu ont causé la mort de près de 100 personnes, fin novembre]. Beaucoup voudraient qu’on juge Museveni ou les commandants de l’armée à La Haye à cause de ce qu’il s’est passé.

Y a-t-il beaucoup de chefs de guerre encore en liberté dans le nord de l’Ouganda ?

Il y a beaucoup d’anciens cadres de la LRA qui ont été amnistiés et qui vivent désormais sans être menacés. Il ne faut pas oublier certains soldats et gradés de l’armée régulière, qui se sont rendus coupables de viols, d’humiliations et de bien d’autres crimes pendant la guerre. Beaucoup n’ont pas été condamnés.

Où en est la reconstruction dans le nord du pays ?

Beaucoup reste à faire, mais beaucoup a déjà été fait. Si vous regardez Gulu, de nouvelles routes sont tracées et des chantiers voient le jour. Mais les conditions de vie restent très difficiles, notamment pour les anciens membres de la LRA. La plupart n’ont pas pu être scolarisés et demeurent sans emploi. Certains voudraient se lancer dans l’agriculture, mais ils manquent de soutien. De plus en plus sont même nostalgiques de l’époque où ils étaient dans la rébellion, puisqu’ils n’avaient pas grand-chose à faire pour être nourris.