Le président du Sénat Renan Calheiros, le 6 décembre, à Brasilia. | EVARISTO SA / AFP

Dans la guerre frontale qui s’est jouée ces dernières 48 heures entre les pouvoirs législatif et judiciaire au Brésil, Carmen Lucia a baissé les armes. Dans un climat mâtiné par l’angoisse d’une nouvelle crise politique, la présidente de la Cour suprême a décidé – ainsi qu’une majorité des juges – de maintenir à la présidence du Sénat, Renan Calheiros, tout en le privant de son droit de succession à la présidence de la République. Une décision en forme de désaveu : « Une mesure constitutionnelle de bas de gamme », a grogné l’un des juges ; « Le Brésil traverse une anomalie institutionnelle », a commenté un autre.

M. Calheiros inculpé pour une affaire de corruption, avait été suspendu de ses fonctions sur décision du juge de la Cour suprême Marco Aurélio de Mello au motif qu’une personne mise en examen ne pouvait prétendre à diriger la nation : le président du Sénat est, dans le cas présent, numéro deux sur la ligne de succession du chef d’Etat, Michel Temer. Mais, dans un geste de fronde inédit, M. Calheiros, soutenu par le Sénat a décidé de désobéir à l’injonction judiciaire, se maintenant à son poste. Contestant la décision « autocratique » d’un juge.

Au prix de contorsions sémantiques et juridiques, Mme Lucia a, mercredi, répudié l’attitude de M. Calheiros – « qui tourne le dos à un officiel de la justice tourne le dos au pouvoir judiciaire » – sans pour autant le sanctionner. « La cour a été piégée par son devoir de garantir la stabilité », analyse Rubens Glezer, professeur de droit à la fondation Getulio Vargas à Sao Paulo. « Une stabilité médiocre », ajoute le politologue Mathias de Alencastro.

Allures de « sauveur de la patrie »

Le contexte délicat du pays explique ce qui ressemble à une humiliante rétractation de la Cours suprême : le départ de M. Calheiros, membre comme Michel Temer du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre) menaçait de paralyser l’action du gouvernement. Son remplaçant, Jorge Viana, membre de l’opposition du parti des travailleurs (PT, gauche) aurait été tenté de reporter à une date indéterminée l’examen de réformes impopulaires mais jugées cruciales tel le gel des dépenses publiques pendant 20 ans.

Cette éventualité a mis au jour l’extrême fragilité d’un chef d’Etat contesté pour son incapacité à restaurer la confiance, son manque de résultat au niveau économique et malmené par divers scandales touchant ses ministres. Après la destitution de Dilma Rousseff (PT, gauche) effective depuis le mois d’août, le pays fut soudain pris de vertige à l’idée de revivre le traumatisme d’un départ anticipé de son président. Renan Calheiros, a pris des allures de « sauveur de la patrie », s’est désolé Marco Aurélio Mello lors des débats, mercredi. « Quels temps étranges traverse notre pauvre République ».

Une présidence dysfonctionnelle

La stabilité politique acquise porte un parfum de soufre. D’aucuns suspectent que M. Calheiros qualifié de « brigand » par ses ennemis du fait de sa mise en cause dans une dizaine d’affaires, ait bénéficié du soutien de ses homologues dans sa croisade à peine masquée contre le pouvoir judiciaire. En particulier contre les magistrats en charge de « Lava-Jato », (Lavage express) l’enquête sur le scandale de corruption impliquant cadres du groupe pétrolier Petrobras, des entreprises du bâtiment et des travaux publics (BTP) et une kyrielle de dirigeants politiques.

Il reste désormais à savoir si cette pacification bricolée suffira à maintenir la stabilité tant espérée. A écouter le blogueur politique Luis Nassif, depuis l’impeachment polémique de Dilma Rousseff, qui a, dit-il, déstructuré l’équilibre institutionnel, « les événements se succèdent au hasard sans que surgissent de forces modératrices ». Et ce dernier de présager le départ précoce de Michel Temer devenu président « dysfonctionnel » occupant une fonction désacralisée.