Goma, 23 mars 2009. Dans la capitale de la province du Nord-Kivu ébranlée par la guerre civile, le gouvernement congolais et la rébellion politico-militaire du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) signent un accord de paix. Les tractations ont été longues et suivies de près dans les capitales des pays des Grands Lacs, comme au Rwanda, où le président, Paul Kagamé, est accusé de soutenir ce groupe armé. Mais aussi à plus de 6 500 km de là, à Londres. Nul ne le savait, mais les belligérants étaient espionnés par le puissant système de surveillance satellitaire déployé par les services de renseignements électroniques britanniques (GCHQ).

Selon des relevés d’interceptions des 13 et 22 janvier, des 12 et 23 février, et du 12 décembre 2009, extraits par Le Monde, en collaboration avec le site The Intercept, des archives de l’ex-consultant de la NSA Edward Snowden confiées à Glenn Greenwald et Laura Poitras, la plupart des négociateurs ont été écoutés. A commencer par le président congolais, Joseph Kabila, dont le numéro de mobile figure sur les listes, de même que son adresse e-mail. On retrouve aussi les courriels, lignes fixes et mobiles de son conseiller spécial et confident, Augustin Katumba Mwanke, de son conseiller politique, Marcellin Cishambo, de son conseiller militaire, le général Denis Kalume Numbi. Toutes les communications de la présidence sont espionnés, tout comme ceux du gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku Kahongya.

Invisible surveillance

Les Britanniques ont également espionné plusieurs ministres sans omettre l’armée qui, en 2009, est en pleine reconstitution avec l’intégration de 5 800 miliciens du CNDP. Les documents du GCHQ témoignent d’ailleurs d’une connaissance fine de l’organisation des forces congolaises. Avec une certaine capacité à identifier les gradés promis à un bel avenir, comme le colonel Kahimbi Delphin, alors chargé des opérations contre les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé hutu formé d’anciens éléments des forces armées rwandaises et de miliciens génocidaires interahamwé. Delphin est aujourd’hui général et chef des services de renseignements militaires. La plupart des responsables opérationnels, du chef du renseignement au chef d’état-major en passant par les hauts gradés en poste à l’est du pays, figurent dans les rapports d’interceptions consultés par Le Monde.

Le numéro de portable de l’ambassadeur de France, Pierre Jacquemot, apparaît aussi dans les relevés d’interceptions, avec un « niveau de priorité 3 », le même que la Mission des Nations unies. Le président Kabila est lui « priorité 4 ». « Le chef de l’Etat a changé de numéro de portable récemment », confie l’un de ses proches conseillers. Contacté, le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, qualifie ces actes d’« hostilités inacceptables ». Et d’ajouter : « La RDC a été victime de ces ingérences dès son indépendance avec l’assassinat de Patrice Lumumba [le 17 janvier 1961] par des agents étrangers. Voilà ce que cela me rappelle. »

Les territoires du Nord-Kivu où évoluent les rebelles sont également sous l’invisible surveillance des Britanniques, quadrillés par leurs satellites qui écoutent leurs chefs. Les alliances se font et se défont au gré des rivalités entre le Rwanda et la RDC, mais aussi de l’Ouganda, où Aronda Nyakairima, chef d’état-major de l’armée ougandaise, impliqué dans les négociations de paix, était aussi espionné par le GCHQ.

Importance du secteur minier

Et si les Britanniques, qui ont accordé un soutien total à Paul Kagamé, doutaient de sa responsabilité dans les massacres et l’exploitation minière dont il est accusé, à l’est de la RDC ? Laurent Nkunda, le charismatique chef de la rébellion du CNDP dont le commandement est principalement tutsi, a bénéficié à ses débuts du soutien du Rwanda de Paul Kagamé – et a été soigneusement écouté par les services anglais. « En 2009, les Britanniques sont alors sous pression de la communauté internationale et des ONG, qui soupçonnent le Rwanda de crimes à l’est de la RDC, confie un diplomate occidental en poste à Kinshasa à l’époque des faits. Par ces écoutes, ils ont peut-être voulu s’assurer de la nature des liens de Kigali avec certains groupes armés. »

Les télécommunications des principaux lieutenants de Laurent Nkunda ont aussi été surveillées. Comme celles de Bosco Ntaganda, qui lui succédera, avant d’être transféré à la Cour pénale internationale en mars 2013. Surnommé « Terminator » pour son extrême violence, ce mercenaire qui a servi dans les rangs de nombreux groupes armés à l’est de la RDC boycotte actuellement son procès, où il est accusé de « crimes contre l’humanité » et de « crimes de guerre ».

Les Britanniques attachent aussi une importance particulière au secteur minier. L’exploitation du sous-sol alimente le conflit armé, motive l’ingérence de pays voisins, et profite à certains membres du pouvoir congolais. Leurs interceptions visent donc aussi les télécommunications du vice-ministre des mines, Victor Kasongo, du riche gouverneur de la province minière du Katanga, Moïse Katumbi, et surtout à plusieurs reprises celles d’Augustin Katumba Mwanke. Ce conseiller spécial du président Kabila régnait sur le secteur, son bureau étant le passage obligé de tout minier désireux de négocier des contrats. Soupçonné par l’ONU d’être le chef d’orchestre du « pillage » des richesses de la RDC, il est mort dans un accident d’avion le 12 février 2012. Contacté, le GCHQ n’a pas souhaité réagir.

Documents Snowden : nos révélations

Le Monde a travaillé directement sur l’intégralité des documents Snowden, confiés par l’ancien agent de la NSA à Glenn Greenwald et Laura Poitras, en collaboration avec le site américain The Intercept, où ils sont stockés sous haute sécurité.

Ces documents montrent :

Cette brève sera actualisée au fur et à mesure de nos révélations.

La réponse de la NSA et du GCHQ aux révélations du « Monde »

« Nous ne faisons jamais aucun commentaire sur des sujets liés au renseignement, a indiqué au Monde le porte-parole des services de renseignement technique britannique (GCHQ). Néanmoins, notre travail est mené conformément au strict cadre juridique et politique qui veille à ce que nos activités soient autorisées, nécessaires et proportionnées, et à ce qu’un contrôle rigoureux puisse être effectué par le secrétaire d’Etat, par la commission parlementaire au renseignement et à la sécurité ainsi que par l’autorité de régulation des interceptions et du renseignement. De plus, le régime légal des interceptions pratiquées par le Royaume Uni respecte totalement la Convention européenne des droits de l’homme. »

De son côté, l’agence nationale de sécurité américaine (NSA) a fait savoir au Monde que « ses activités de renseignement sont en totale conformité avec le cadre juridique et politique en vigueur ».

Révélations Snowden : comment les satellites sont espionnés
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