Le siège de Rosneft, derrière le mur d’enceinte du Kremlin, où réside la présidence russe. | SERGEI KARPUKHIN / REUTERS

Etranglé par la faiblesse des prix du pétrole, l’Etat russe a besoin d’argent. Une urgence apparue au grand jour, mercredi 7 décembre au soir, quand Vladimir Poutine a annoncé la privatisation de 19,5 % du capital de Rosneft, le premier producteur de pétrole de Russie.

« Le moment est très bon et le volume de l’accord est très important : 10,5 milliards d’euros », s’est félicité le chef du Kremlin en recevant dans son bureau Igor Setchine, le puissant patron de Rosneft. « C’est la première et plus vaste opération de privatisation, la plus grande vente-acquisition dans le secteur du gaz et du pétrole dans le monde au cours de l’année 2016 », a poursuivi le chef de l’Etat, ajoutant :

« Et, bien sûr, la question se pose, quand est-ce que l’argent va arriver au budget de la fédération de Russie ? »

In extremis avant la date du 31 décembre, et alors que le parlement russe achève l’examen en deuxième lecture du budget, l’Etat met donc sur la table la promesse d’un gros chèque qui lui permettra de ramener son déficit budgétaire (3,6 % du PIB) sous contrôle.

L’Etat garde la majorité des parts

Aux 10,5 milliards d’euros, le président russe ajoute en effet le produit de la vente, en octobre, d’une autre entreprise pétrolière russe, Bashneft, rachetée, pour près de 5 milliards d’euros… par Rosneft. Au total, a calculé M. Poutine, qui s’exprimait cette fois en dollars, ce sont 17,5 milliards de dollars (16,2 milliards d’euros) qui vont être versés dans les caisses de l’Etat.

A l’issue de « plus de trente discussions ouvertes avec des investisseurs du monde entier », comme a tenu à le souligner M. Setchine, la cession des 19,5 % du capital de son groupe a fait l’objet d’un accord avec le fonds souverain du Qatar (Qatar Investment Authority) et le négociant en matières premières Glencore. Le montant de la transaction, qui valorise Rossneft à un peu plus de 50 milliards d’euros, reste relativement modeste pour un groupe pétrolier de cette taille.

L’Etat russe reste majoritaire au capital de l’entreprise, avec plus de 50 % des parts, malgré la présence du britannique BP qui possède déjà 19,75 % du capital, le reste étant éparpillé entre d’autres actionnaires. Dans un communiqué, Glencore a précisé que l’opération devrait être bouclée dès la mi-décembre et représenterait un gain de 220 000 barils de pétrole par jour pour ses activités de négoce. Elle offre, ajoute-t-il, « d’autres possibilités pour un partenariat stratégique ».

Déjà des liens entre Glencore et l’URSS

Installé en Suisse, Glencore est l’un des plus importants groupes au monde de négoce, de courtage et d’extraction de matières premières, fruit d’une fusion réalisée en mai 2013 avec son concurrent Xstrata. Le fondateur de Glencore, Marc Rich, décédé en 2013, avait noué des liens avec l’URSS et ne s’embarrassait pas des liaisons dangereuses avec d’autres pays soumis à embargo, achetant du pétrole à l’Iran des ayatollahs et livrant ce même pétrole à l’Afrique du Sud en plein régime de l’apartheid.

Mais pour le Kremlin, l’important n’est pas seulement de renflouer ses finances mal en point. Soumise à des sanctions internationales depuis son annexion de la Crimée en 2014 et le conflit dans l’est de l’Ukraine, la Russie doit à tout prix montrer qu’elle peut faire des affaires avec des investisseurs internationaux, alors que les partisans de la levée des sanctions se font de plus en plus entendre à travers le monde et que ses relations avec les Etats-Unis paraissent se réchauffer depuis la victoire de Donald Trump.

Rosneft, de son côté, fait partie des entreprises placées sous sanctions américaines et européennes, c’est-à-dire privée de financement et de crédits à long terme ainsi que de transferts de technologies américaines. En septembre 2014, le groupe ExxonMobil avait ainsi arrêté ses projets communs avec Rosneft.

Baisse de la production mondiale de pétrole

Relativement modeste il y a quinze ans, l’entreprise russe a connu une croissance fulgurante depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, sous la direction de l’un de ses proches, Igor Setchine. Le groupe s’est en partie développé sur les ruines de Ioukos, l’entreprise de l’opposant Mikhaïl Khodorkovski démantelée par la justice en décembre 2004, puis avec le rachat de son concurrent TNK-BP moins de dix ans plus tard, en 2013.

Malgré l’opposition d’une partie du gouvernement, Rosneft s’est enfin tout récemment porté acquéreur de Bashneft, revenu dans le giron de l’Etat après que son acquisition par le groupe AFK Sistema en 2009 ait été déclarée « illégale » par les autorités. Son dirigeant, Vladimir Evtouchenkov avait alors été placé en résidence surveillée trois mois. Depuis, aussi, Alexeï Oulioukaïev, le ministre du développement économique, opposé au rachat de Bashneft par Rosneft, interpellé pour corruption, a subi le même sort.

L’annonce de la privatisation partielle de Rosneft intervient quelques jours seulement après l’accord signé par les membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, sur une baisse coordonnée de leur production, à laquelle la Russie, qui n’appartient pas au cartel, s’est associée dans l’espoir de faire remonter les cours du brut.