Stockage de déchets dans une usine Paprec. | Paprec Group

Les chiffonniers ont bien changé. Plus de hotte ni de crochet comme dans le Paris de Baudelaire. Aujourd’hui, ils collectent les déchets par tonnes, disposent d’usines automatisées pour les trier, sont parfois cotés en Bourse, et construisent de petits empires à coup de fusions. Témoin, l’opération annoncée jeudi 8 décembre par Paprec.

En s’offrant les activités de la Saur dans les déchets, la plus lourde acquisition de son histoire, le spécialiste du recyclage des matériaux va se hisser parmi les champions français du secteur. Son effectif va passer en une fois d’environ 4 500 à 8 000 personnes. Son chiffre d’affaires va bondir d’un tiers, pour atteindre 1,3 milliard d’euros.

Une consécration pour Jean-Luc Petithuguenin, le fondateur de Paprec. Il y a vingt-deux ans, cet entrepreneur hors norme quittait la Générale des eaux et reprenait une première société de 45 personnes. Depuis, son groupe n’a cessé de croître, à un rythme de 20 % à 30 % par an, au fil des rachats et de l’essor du recyclage en France. Peu à peu, il a élargi sa palette, passant du tri des vieux papiers au recyclage du plastique, des piles, des pneus, des métaux, etc.

Le tout porté par un management très particulier, dans lequel le PDG joue un rôle clé : « Chez nous, il n’y a pas d’organigramme, tout se décide collectivement, en comité, raconte le vice-président, Claude Solarz, 71 ans, un des piliers de l’aventure. Mais il y a Dieu au-dessus de tout, et il s’appelle Jean-Luc Petithuguenin. »

Un opérateur indépendant de poids

Omniprésent, le fondateur et actionnaire majoritaire est à la fois à la pointe pour investir dans des machines dernier cri ou défendre la diversité et la laïcité, et très « dinosaure » sur d’autres plans. Plutôt que les emails, il a par exemple imposé l’utilisation de petits papiers pré-imprimés pour transmettre les messages entre les cadres. Chacun écrit à la main ses « ordonnances », quitte à ce que des secrétaires les scannent ensuite…

Comme beaucoup d’entreprises de taille intermédiaire, Paprec risquait avec le temps de plafonner, faute de conserver l’énergie des commencements ou de disposer des moyens financiers adéquats. « Avec cet accord avec la Saur, nous cassons le plafond de verre, se réjouit M. Petithuguenin. L’opération fait de Paprec un opérateur indépendant de poids face à nos deux grands concurrents historiques », Veolia et Suez, les ex-Générale et Lyonnaise des eaux.

Mais pour conclure l’affaire, le PDG et son fils Sébastien, en pole position pour lui succéder à terme, ont dû casser la tirelire familiale. Ils ont accepté de payer un prix de l’ordre de 240 à 260 millions d’euros, un montant très élevé alors que Coved, la filiale concernée de la Saur, dégage seulement 5 millions d’euros de résultat net annuel. A ce rythme, cela signifie que Paprec pourrait mettre cinquante ans à récupérer sa mise ! Rothschild, qui organisait la vente, a visiblement bien fait son travail, et les quatre tours d’enchères successifs ont incité les candidats, dont l’industriel allemand Remondis, à se montrer généreux.

La Saur va concentrer ses efforts sur l’eau

Pour la Saur, qui a connu des années difficiles et de nombreux changements de dirigeants, cette nouvelle cession doit permettre de concentrer les efforts sur l’eau, le métier principal de l’ex-filiale de Bouygues. Le groupe, à présent contrôlé par plusieurs banques, a déjà vendu son activité de gestion des aires d’accueil des gens du voyage et ses crématoriums, en attendant sans doute sa filiale Blue Green, premier exploitant de golfs en France.

M. Petithuguenin, pour sa part, a jugé que le jeu en valait la chandelle. « Quand les trains passent, il faut savoir monter dedans », tranche-t-il. L’affaire a été validée par BPIfrance, qui détient 30 % de Paprec, et par les banques : BNP Paribas, le Crédit agricole et Credit Suisse ont chacun proposé de prêter de quoi financer 100 % de la transaction. « Notre dette est bien cotée en Bourse, nous sommes détendus sur ce terrain », affirme-t-on au siège.

Entrer dans un nouveau métier : la gestion des décharges

Outre l’effet de taille, l’achat de Coved fait entrer le groupe dans un métier nouveau : la gestion des décharges. « Jusqu’à présent, je n’avais acheté que des entreprises de recyclage, explique le PDG. C’est l’avenir ! Mais contrairement à ce qu’on pouvait attendre d’une alliance entre socialistes et écologistes, le gouvernement n’a guère favorisé le recyclage en France. La taxe sur la mise en décharge vraiment acquittée reste assez faible, de l’ordre de 20 euros par tonne. »

Même si le « plan déchets » présenté par le gouvernement en 2014 prévoit de diviser par deux les quantités d’ordures non recyclées d’ici à 2025, M. Petithuguenin estime donc que les décharges, dont Coved est spécialiste, ont encore de beaux jours devant elles. Et il espère rentabiliser son investissement sans trop attendre grâce à des économies d’échelle, notamment sur l’informatique et la gestion des déchets industriels. « J’ai réuni une vingtaine de cadres pour discuter du dossier, et je leur ai demandé : “On y va ou pas ?”, raconte le PDG. Ils ont dit “On y va”. » Et « Dieu » a suivi l’avis de ses disciples.