Série sur Arte à 20 h 55

Cannabis | Bande annonce - ARTE
Durée : 00:21

C’est bien connu, les grandes séries, aujourd’hui, ne sont pas composées d’épisodes indépendants les uns des autres mais s’apparentent aux feuilletons que publiaient jadis les journaux : le récit repose sur une trame narrative dont il faut suivre le tissage d’épisode en épisode.

C’est le cas pour Cannabis, même si cette série rappelle surtout une autre forme littéraire : le roman de formation (ou Bildungsroman) – ce qui vaut aussi pour la série Gomorra ou le long-métrage Un prophète, de Jacques Audiard.

Puissance d’incarnation

Bien que Cannabis prenne pour cadre le trafic de la drogue, sa toute dernière image indique que le thème réel de cette série a trait à la filiation et, pour le plus jeune des personnages, au cheminement vers l’accomplissement de soi. Même s’il fait ses armes et parfait son apprentissage dans le milieu du crime, et non dans celui de la vertu ou de l’amour, comme c’était souvent le cas dans le roman de formation du XIXe siècle.

La scène inaugurale se situe en Méditerranée, où deux individus braquent un bateau chargé d’une tonne de cannabis, créant des répercussions dans trois territoires et trois milieux liés à l’économie du haschich. Le Maroc, où ce cannabis a été cultivé et transformé en petits blocs de résine ; Marbella, en Andalousie, plaque tournante du trafic ; la cité de la Roseraie, en banlieue parisienne, privée des barrettes de shit qui font vivre le dur dealer Morphée. Voilà pour le rapport au réel, très finement documenté et décrit, sans jamais verser dans le documentaire.

Pedro Casablanc | © Lucia Faraig

Pas de policier ou de juge dans l’intrigue de Cannabis, que des truands. Que l’on suivra tant dans leurs activités illicites que dans l’évolution de leurs rapports familiaux et amoureux, découvrant leurs aspirations ou leurs angoisses, leurs failles et leur solitude. Sur la cinquantaine de personnages impliqués dans ce trafic de cannabis entre l’Espagne, la France et le Maroc, deux, en particulier, que tout oppose (leur origine, leur âge, leur expérience, leur tempérament et leur regard sur l’humanité), électrisent la série et mettent leur entourage sous tension. Tout d’abord, la pelote de nerfs « El Feo » (« le Vilain »), qu’interprète Pedro Casablanc, remarquable acteur espagnol. Ce trafiquant polyglotte de Marbella, serpent sadique et cultivé, la soixantaine en mal d’enfant, offre le portrait de « méchant » le plus complexe et le plus intrigant jamais créé dans une série française. Et puis il y a la pelote de muscles Shams (Yasin Houicha, très convaincant), jeune banlieusard français, père en prison, mère inconnue de nous, élevé par sa grand-mère paternelle et, comme elle, sociable, généreux et positif (« Shams, c’est le soleil, en arabe, celui qui voit tout », explique-t-il à une fille).

Tous les personnages mis en scène par la cinéaste Lucie Borleteau (Fidelio, l’odyssée d’Alice), qui réalise là sa première production pour la télévision, impressionnent par leur puissance d’incarnation et concourent au sentiment immédiat que l’on est face à une série qui fera date en France. Comme l’ont été Engrenages ou tout récemment Le Bureau des légendes. Entouré de deux scénaristes de talent, Virginie Brac et Clara Bourreau, le créateur de Cannabis, Hamid Hlioua, parvient à une dose idéale de réalisme et de romanesque.

Cannabis, série créée par Hamid Hlioua. Avec Yasin Houicha, Pedro Casablanc, Christophe Paou (Fr.-Esp., 2016, 6 × 52 min). Trois épisodes à la suite.