Des forces progouvernementales syriennes patrouillent dans la vieille ville d’Alep, le 9 décembre. | GEORGE OURFALIAN / AFP

Le correspondant du Monde à Beyrouth, au Liban, a répondu vendredi 9 décembre aux questions des lecteurs du Monde.fr sur la situation à Alep-Est, que les groupes armés sont désormais disposés à quitter.

Mickael : Quelles sont les présences humanitaires à Alep-Est ?

Benjamin Barthe : Cela dépend si vous parlez des quartiers récemment repris par les forces progouvernementales ou des quartiers encore dans les mains des rebelles, qui représentent désormais moins de 20 % d’Alep-Est. Dans les premiers, les humanitaires (je parle des organisations humanitaires internationales) commencent à se déployer, après avoir été longtemps absents, du fait de l’obstruction de Damas, dont la stratégie était d’affamer ces zones. Je sais par exemple que les Nations unies ont récemment eu accès à Masaken Hanano, l’un des premiers quartiers repris par les forces pro-Assad, dans le nord-est d’Alep.

Le Comité international de la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge syrien ont également réussi à évacuer, dans la nuit de mercredi à jeudi, près de 150 blessés et malades, dont de nombreux handicapés mentaux, d’un petit hôpital de la vieille ville. Pour ce qui est des quartiers encore sous le contrôle des rebelles, il n’y a malheureusement aucune présence humanitaire. Et quasiment plus de structure médicale digne de ce nom, car tous les hôpitaux, cliniques et centres de soins ont été bombardés ou bien ont dû fermer en raison du risque d’être bombardés.

Jennifer : Moscou dit souhaiter ouvrir des couloirs d’évacuation pour les civils et les rebelles. Peut-on être sûrs des « bonnes intentions » russes ?

Je viens de m’entretenir avec un haut responsable d’une organisation humanitaire internationale. Le principe d’une évacuation de civils vers des zones hors du contrôle gouvernemental a été acté avec les Russes, m’a-t-il dit. Ce qui veut dire un transfert soit vers la province d’Idlib, au sud-ouest d’Alep, une zone dominée par les djihadistes du Front Fatah Al-Cham, soit un transfert vers le nord d’Alep, une zone contrôlée plutôt par l’Armée syrienne libre, la branche modérée de l’insurrection. D’après cette source, qui veut rester anonyme, la « déconfliction » est en cours, c’est-à-dire la sécurisation de la sortie des civils. Toujours d’après cette source, 70 ambulances en provenance de Turquie, seraient en route vers Alep, pour assurer le transport de ces civils. Voilà pour les dernières nouvelles.

Pour ce qui est de l’évacuation des rebelles, c’est plus compliqué. Des négociations sont en cours, entre Américains et Russes. Au moins une partie des groupes armés ont fait savoir, discrètement, aux Américains, qu’ils étaient prêts à évacuer. Mais est-ce que le régime syrien est disposé à laisser sortir ces hommes d’Alep vivants, ou du moins libres ? La question se pose. La pause dans les bombardements annoncée par Moscou jeudi soir n’a pas été respectée par l’armée syrienne. Elle pourrait être tentée d’investir le dernier carré rebelle et d’y neutraliser tous les combattants, soit en les tuant dans les combats, soit en les obligeant à se rendre.

Fred10 : Est-il vrai que les forces gouvernementales ont recours au racket car elles ne sont plus rémunérées par l’Etat syrien ? Les populations sous le joug des forces rebelles sont-elles retenues de force et doivent-elles participer à leur effort de guerre ?

Début novembre, après que les forces progouvernementales ont repoussé une offensive de rebelles islamistes, visant à briser le siège d’Alep, des habitants de la partie ouest, où les combattants prorégime s’étaient déployés, se sont plaints de pillage. L’affaire a fait tant de bruit que les autorités locales ont dû s’exprimer et rappeler à l’ordre ces forces. Le racket ? On entend souvent parler de telles pratiques aux checkpoints tenus par les miliciens ou les soldats pro-Assad. Leur niveau de rémunération est très faible et il est donc tentant pour eux d’extorquer de l’argent aux personnes qui veulent traverser ces barrages.

Côté rebelle, on entend parler aussi d’exactions du même genre. Il y a eu beaucoup de pillages au début de la guerre à Alep, lorsque les brigades rebelles sont rentrées dans les quartiers est. Notamment dans la zone industrielle de Cheikh Najjar, dans le nord. Enfin, oui, d’après l’ONU, certains groupes armés d’Alep se servent des civils comme de boucliers humains et les empêchent de sortir.

Viodowo : Quelles seront les incidences de la victoire du gouvernement syrien à Alep-Est sur le conflit au niveau national ? Cette victoire implique-t-elle, par exemple, que l’Armée syrienne libre n’a, à ce jour, plus qu’une chance infime de renverser Bachar Al-Assad ?

Avec la chute d’Alep, l’opposition armée perd son deuxième et dernier centre urbain, après Homs, qui a été reprise par les forces progouvernementales en 2014. C’est un événement majeur. D’une insurrection d’envergure nationale, même si ses perspectives de victoire ont toujours été très limitées, le mouvement anti-Assad se voit rétrogradé au niveau d’une guérilla, cantonnée dans des zones rurales et des villes moyennes.

Ce déclassement officialise ce qui était déjà évident depuis longtemps compte tenu de l’immense supériorité militaire du camp prorégime, à savoir le fait que l’opposition ne peut plus poser de défi militaire existentiel à Damas et ne peut donc plus prétendre constituer une alternative politique au régime. La chute d’Alep enfonce ainsi le dernier clou dans le cercueil des négociations de paix, basées sur le principe d’une transition politique, laborieusement pilotées par l’envoyé spécial des Nations unies Staffan de Mistura.

Cela posé, est-ce que la guerre est terminée ? Non. Mais il est possible que son intensité diminue graduellement. L’une des inconnues de cette équation, c’est la réaction des monarchies du Golfe, les principaux fournisseurs d’armes de la rébellion. Vont-elles prendre acte de l’échec de leurs protégés et cesser ou du moins réduire leurs livraisons ? Ou bien, au contraire, voudront-elles répondre au camouflet que Damas leur a indirectement infligé ? On le verra dans les prochains mois.

Quentin : A-t-on une estimation du nombre de victimes à Alep depuis le début des hostilités ?

Dans le chaos actuel, personne ne peut décemment prétendre connaître le nombre exact des victimes. L’Observatoire syrien des droits de l’homme parle d’environ 350 morts. Le responsable des conseils révolutionnaires d’Alep, Brita Hajj Hassan, donne le chiffre d’environ 800 tués. Où est la vérité ? Je ne sais pas. Et je crains malheureusement que le bilan exact de l’offensive du régime ne soit pas connu avant longtemps. Le régime n’aura guère d’intérêt à laisser les organisations de défense des droits de l’homme sillonner les quartiers est pour dresser un recensement précis du nombre de victimes.

Aneso : Que va-t-il se passer pour les casques blancs d’Alep-Est ?

Ils ont publié un communiqué jeudi 8 décembre pour demander l’évacuation de leurs secouristes d’Alep-Est, en affirmant qu’ils risquent d’être arrêtés, exécutés ou torturés (je cite leurs termes) si les forces prorégime pénètrent dans le dernier carré rebelle. Les partisans du régime éprouvent à leur égard une aversion inversement proportionnelle à l’admiration qu’ils suscitent en Europe et aux Etats-Unis. Donc leurs craintes ne sont pas totalement déplacées.

Rimbus : Que pensez-vous du rapprochement de l’Egyptien Abdel Fattah Al-Sissi avec la Russie et Bachar Al-Assad ?

Il est possible qu’à la faveur de la chute d’Alep ce rapprochement s’intensifie et qu’il devienne davantage public. Le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, qui est issu des rangs militaires, a récemment fait l’éloge des armées nationales arabes, en mentionnant spécifiquement l’armée syrienne. La presse libanaise, notamment les quotidiens As-Safir et Al-Akhbar, affirme que des militaires égyptiens ont été déployés en Syrie, notamment des pilotes de chasse. Les autorités égyptiennes ont démenti. Mais, compte tenu de la position de Sissi, il est très probable que Le Caire fournisse à Damas une forme d’assistance militaire.

Vince : On ne parle plus de Mossoul, mais n’est-ce pas exactement la même situation à quelques mois d’intervalle ?

Non, ce n’est pas la même situation, pour la simple et bonne raison que l’organisation Etat islamique (EI) est absente d’Alep-Est. Pour mémoire, ce sont les rebelles syriens qui ont délogé l’EI d’Alep au mois de janvier 2014. Le Front Fatah Al-Cham, une émanation d’Al-Qaida, compte des combattants à l’intérieur d’Alep, mais ils sont très minoritaires. Alep a été le théâtre de mouvements de protestations populaires, en 2011-2012, qui, sous l’effet de la répression du régime, se sont militarisés et ont débouché sur la conquête par les rebelles d’Alep-Est. Mossoul n’a pas connu une telle mobilisation, quand l’EI s’en est emparé en 2014.

Syrie : images aériennes de la vieille ville d’Alep détruite
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