On savait l’Union africaine (UA) capable des pires turpitudes. Mais jamais on ne l’aurait crue capable de tourner le dos à une manifestation qui a pour thème central la paix et la sécurité en Afrique. Et pourtant, c’est ce qui arriva les 5 et 6 décembre à Dakar. En effet, il n’y avait dans la capitale sénégalaise pour assister au Forum international sur la paix et la sécurité en Afrique ni le président tchadien Idriss Déby, président en exercice de l’UA, ni la présidente de la Commission de l’Union africaine, la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma. Même le commissaire à la paix et la sécurité de l’UA, l’Algérien Smail Chergui, n’a pas cru devoir se joindre aux discussions sur les immenses défis sécuritaires que le continent doit relever.

Sur ce registre d’inconséquences, l’UA n’est pas seule. Aucun chef d’Etat des pays membres du « G5 Sahel » (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), région au cœur des problématiques abordées, n’a effectué le déplacement de la capitale sénégalaise. Et comme pour ajouter à l’image désastreuse du niveau de participation des dirigeants africains, l’Algérie, la puissance régionale, « le grand frère au Sahel », s’est fait représenter par son ambassadeur dans la capitale sénégalaise, Boualam Hacene.

Des partenaires étrangers présents

La très forte absence des dirigeants africains, premiers concernés par le sujet, est d’autant plus surprenante et injustifiable que leurs partenaires étrangers, eux au moins, étaient présents à un haut niveau. L’Union européenne, homologue de l’UA, a dépêché à Dakar pas moins que son haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini. Au-delà de sa seule présence, elle a annoncé que l’Europe envisage d’ajouter à la formation des armées africaines (Mali, Centrafrique) un volet équipement.

Pour leur part, les Nations unies ont dépêché au forum le secrétaire général adjoint chargé des opérations de maintien de la paix, le Français Hervé Ladsous. Lui aussi a fait d’importantes annonces que les dirigeants de l’UA auraient dû venir écouter et même applaudir : la prochaine montée en puissance du partenariat entre les Nations unies et l’UA sur la paix et la sécurité en Afrique, l’utilisation de drones de surveillance dans le maintien de la paix.

Ils auraient également dû être au milieu de tous ces acteurs militaires et civils de la paix et la sécurité en Afrique, pour se réjouir de l’annonce du ministre français de la défense de la mise en place d’une stratégie de cession par son pays des équipements militaires aux armées africaines. L’importance des thématiques abordées justifiait également que les dirigeants africains soient venus en nombre.

Pas de contraintes d’agenda

Pour la première fois, par exemple, le continent souhaite s’engager dans la lutte doctrinale contre les extrémistes à travers la formation des imams et des prédicateurs capables d’expliquer et de promouvoir les valeurs de tolérance de l’islam. Il s’agit, selon la formule des promoteurs de cet axe, de « combattre l’extrémisme violent sans les armes ».

A examiner de près les absences tant de l’UA que des dirigeants africains, elles n’obéissent surtout pas à des contraintes d’agenda. Le Tchadien Déby n’est pas venu parce qu’il ne souhaitait pas être l’hôte de son homologue sénégalais Macky Sall, dont le compatriote Abdoulaye Bathily rivalise avec le ministre tchadien des affaires étrangères Moussa Faki Mahamat pour la présidence de la Commission de l’UA, poste à pourvoir en janvier 2017.

Nkosazana Dlamini-Zuma, quant à elle, n’est pas venue à Dakar en raison de sa profonde divergence avec le Sénégal sur les conditions du retour du Maroc au sein de l’organisation panafricaine. Alors que la Sud-Africaine est accusée par le royaume chérifien de freiner des quatre fers son retour, le gouvernement sénégalais a pris la tête des partisans de la réadmission de Rabat dès le prochain sommet de l’UA prévu les 30 et 31 janvier 2017 à Addis-Abeba, en Ethiopie.

Large absence des dirigeants africains

Le commissaire à la paix et la sécurité de l’UA, Ismaël Chargui, a sans doute choisi de prendre exemple sur ces deux « chefs », en s’abstenant de faire le voyage de Dakar. Du côté des chefs d’Etat du « G5 Sahel », les raisons des absences ne sont guère plus solides que celles des dirigeants de l’UA. Le Nigérien Mahamadou Issoufou est en froid avec le président sénégalais au sujet de la désignation du nouveau président de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Un fauteuil que le Niger tient absolument à récupérer, en invoquant un compromis trouvé de longue date sur la succession du Sénégalais Cheikh Hadjibou Soumaré, son titulaire actuel.

Il n’est par ailleurs un secret pour personne que les relations entre le Sénégalais Macky Sall et le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz n’ont jamais été très chaleureuses. Recherché dans son pays pour « liens présumés avec le terrorisme », le Mauritanien Moustapha Chafi a pignon sur rue à Dakar, ce qui irrite le pouvoir de Nouakchott.

Enfin, le Malien Ibrahim Boubacar Keïta, dont le pays a été maintes fois cité dans les échanges du forum, n’a pu venir à Dakar en raison de la fatigue du long voyage (9 heures de vol) entre Bamako et Abou Dabi où il a participé les 2 et 3 décembre à la conférence internationale pour la sauvegarde du patrimoine en péril.

Si elles varient de l’UA aux pays concernés, les contraintes évoquées ne semblent pas suffire à justifier la large absence des dirigeants africains à un événement sur la paix et la sécurité en Afrique, qui est d’abord une affaire d’Africains avant d’être celle de leurs partenaires extérieurs.

Seidik Abba, journaliste-écrivain, auteur de Rébellion touarègue au Niger. Qui a tué le rebelle Mano Dayak ? (éd. L’Harmattan, 2010).