Marine Le Pen assure n’avoir « rien contre les étrangers ». Mais elle s’en est prise aux supposés privilèges des immigrés et étrangers en France, jeudi 8 décembre, à Paris, lors d’un petit-déjeuner organisé par l’institut de sondage BVA. Sauf que la présidente du Front national (FN), candidate à l’élection présidentielle, a accumulé les approximations et contre-vérités sur le sujet.

La « fin de la récréation » sur la scolarité gratuite

CE QU’ELLE PROPOSE

Marine Le Pen a affirmé lors de ce petit-déjeuner vouloir revenir sur le droit à une scolarité gratuite pour les enfants d’immigrés :

« La solidarité nationale doit s’exprimer à l’égard des Français. Je n’ai rien contre les étrangers, mais je leur dis : “Si vous venez dans notre pays, ne vous attendez pas à ce que vous soyez pris en charge, à être soignés, que vos enfants soient éduqués gratuitement, maintenant c’est terminé, c’est la fin de la récréation !” » 

« Je parlais des enfants de clandestins », a-t-elle précisé à l’AFP par la suite, ajoutant : « Demander une participation aux étrangers pour la scolarisation de leurs enfants en France est une mesure qui ne me choque pas outre mesure, cela se fait dans beaucoup de pays. »

POURQUOI C’EST PLUS COMPLIQUÉ

Marine Le Pen laisse entendre que l’accès gratuit à la scolarisation serait une forme de privilège accordé aux enfants d’immigrés en France. En réalité, il s’agit d’un droit affirmé par toutes les conventions internationales :

On peut également ajouter le code de l’éducation (article L.131-1) qui, en France, rappelle que « l’instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre 6 ans et 13 ans », ou même le préambule de la Constitution de 1946, repris dans celui de celle de 1958 : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. » La conception partagée jusqu’ici aussi bien par l’Etat français que les conventions internationales tend plus à revendiquer l’éducation comme un droit et la scolarisation des enfants comme un devoir de leurs parents, étrangers ou non.

Le défenseur des droits, Jacques Toubon, s’est d’ailleurs ému dans son rapport 2016 sur les droits de l’enfant des barrières qui empêchent parfois les parents en situation irrégulière de scolariser leurs enfants : « Nous sommes frappés par le constat qu’en France, aujourd’hui, beaucoup d’enfants sont empêchés d’aller à l’école, malgré l’affirmation du droit à la scolarisation pour tous. »

La proposition de Marine Le Pen contreviendrait donc à la Constitution et aux conventions internationales.

Une intox sur les immigrés qui ne « travaillent pas »

CE QU’ELLE A DIT

Au cours du petit-déjeuner BVA, Marine Le Pen a affirmé que la population immigrée en France ne « travaille pas ».

POURQUOI C’EST CONTESTABLE

La déclaration de la députée européenne a de quoi interpeller. Dans l’ensemble, le taux d’actifs (rapport entre les actifs occupés et chômeurs par rapport à la population correspondante) est équivalent entre population immigrée (56 %) et non immigrée (57 %), selon les statistiques de l’Insee pour l’année 2010, publiées en 2012.

Parmi ces actifs, la proportion de chômeurs est supérieure chez les immigrés (15 %) par rapport aux non-immigrés (8 %). On remarque par ailleurs que les immigrés nés dans l’Union européenne sont mieux lotis (6 % de chômage) que les autres (18 %).

Une étude européenne plus récente montre que 80,2 % des immigrés de seconde génération âgés de 25 ans à 54 ans ont un emploi, soit presque autant que les Français d’ascendance française (83,9 %). Les immigrés de première génération le sont un peu moins, mais une nette majorité d’entre eux (66,6 %) travaille.

Bref rien ne permet d’affirmer, comme le fait Marine Le Pen, que les immigrés « ne travaillent pas » quand les autres « travaillent ».

Un mensonge sur les retraites des immigrés

CE QU’ELLE A DIT

Poursuivant son réquisitoire sur les immigrés qui ne travaillent pas, selon elle, la présidente du FN a ajouté ceci : « Sans compter les dispositifs qui permettent à des gens de toucher des minimums vieillesse avec le seul critère d’arriver en France, d’avoir 65 ans, sans avoir jamais ni travaillé ni cotisé en France, et on arrive à délivrer, je sais plus, 750 euros par personne, 1 500 euros pour un couple. »

POURQUOI C’EST FAUX

L’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), anciennement appelée « minimum vieillesse », assure des ressources mensuelles minimales aux personnes de plus de 65 ans. Son montant est de 801 euros pour une personne seule, 1 243 euros pour un couple.

Cette aide est effectivement ouverte aux étrangers mais, contrairement à ce que dit Marine Le Pen, il y a des conditions pour cela. Il faut résider en France de manière régulière et remplir au moins un de ces trois critères :

  • avoir un titre de séjour autorisant à travailler depuis dix ans au moins ;

  • être réfugié, apatride ou bénéficier de la protection subsidiaire ou avoir combattu pour la France ;

  • être ressortissant d’un Etat membre de l’espace économique européen ou de la Confédération suisse.

On comptait 68 827 bénéficiaires de cette allocation en 2015 (– 0,2 % par rapport à 2014). Environ 30,9 % d’entre eux étaient étrangers, un chiffre resté stable ces dernières années.

D’une manière générale, le bénéfice de tous les minima sociaux est soumis à condition pour les étrangers.

Une fausse affirmation sur les retraites des agriculteurs

CE QU’ELLE A DIT

Marine Le Pen a enfin déploré le fait qu’« en bas de chez vous [il y a] des agriculteurs qui vivent avec 300 euros ou 400 euros par mois de retraite », par opposition à la situation des migrants accueillis en France.

POURQUOI C’EST FAUX

Contrairement à ce qu’affirme Marine Le Pen, l’Etat n’abandonne pas un agriculteur démuni qui ne toucherait qu’une retraite de 300 ou 400 euros par mois. En réalité, toute personne de nationalité française de plus de 65 ans qui réside dans le pays peut au minimum percevoir l’ASPA. Cette dernière garantit à une personne seule sans revenus un minimum de 801 euros par mois. Et un agriculteur seul qui touche une retraite inférieure à ce seuil peut tout à fait demander un complément au titre de l’ASPA.

Dans deux cas de figure précis, un agriculteur peut effectivement recevoir une simple rente mensuelle de 300 ou 400 euros :

  • si les ressources totales du foyer dépassent le plafond de l’ASPA ;

  • si l’agriculteur souhaite ne pas recevoir l’aide pour éviter tout prélèvement sur sa succession. Les sommes versées au titre de l’allocation sont en effet récupérées à la disparition de l’allocataire sur sa succession si l’actif net successoral dépasse le seuil de recouvrement (39 000 euros).

Dans le premier cas, l’Etat considère que les ressources du conjoint complètent la faible retraite de l’agriculteur (si les revenus cumulés du couple dépassent le seuil de 1 243 euros de l’ASPA). Dans le second cas, il s’agit d’un choix personnel, motivé par des choix destinés à préparer sa succession.