Le photojournaliste égyptien Mahmoud Abou-Zeid, alias « Shawkan ». | Page Facebook « Freedom for Shawkan »

Le 14 août 2013, les forces de sécurité égyptiennes lancent l’assaut contre les sympathisants des Frères musulmans, qui campent depuis le 3 juillet sur les places Rabaa Al-Adawiya et Nahda, au Caire, jour de la destitution du président islamiste, Mohamed Morsi, par l’armée. Mohamed Abou Zeid, alias « Shawkan », un photojournaliste égyptien missionné par l’agence britannique de photos en ligne Demotix, est en route pour la place Rabaa Al-Adawiya, avec deux confrères étrangers. Ils sont interpellés et emmenés par les forces de sécurité.

Les étrangers sont libérés, Shawkan est conduit en prison avec des centaines d’autres Egyptiens accusés d’avoir participé aux manifestations pro-islamistes. Au moins 800 personnes ont été tuées, ce jour-là, dans la répression des sit-in, selon les organisations des droits de l’homme.

Trois ans et cinq mois plus tard, Shawkan est toujours détenu dans la prison de Torah. Il a désormais 29 ans. Accusé d’homicide, de tentative d’homicide et de possession d’armes, il a été maintenu en détention provisoire bien au-delà de la période légale de deux ans. Depuis décembre 2015, il est jugé avec 738 autres détenus dans l’affaire du « démantèlement de Rabaa » et risque la peine de mort.

Son moral comme sa santé se sont dégradés. Atteint d’hépatite C, il s’est vu refuser l’accès à un traitement médical. « Il paie de sa vie et de sa santé le fait d’avoir voulu couvrir un événement qui est devenu le massacre de Rabaa Al-Adawiya. Simplement pour avoir porté une caméra et exercé son métier », déplore Khaled El-Balshy, le vice-président du conseil d’administration du Syndicat des journalistes égyptiens, de passage en France, jeudi 8 décembre.

« Les médias connaissent leurs pires années »

Une nouvelle audience est prévue le 10 décembre. Elle coïncide avec la Journée internationale des droits de l’homme. Amnesty International, qui a choisi de mettre en lumière le cas de Shawkan et de neuf autres prisonniers d’opinion dans sa campagne « Dix jours pour signer », du 2 au 11 décembre, demande qu’il ait accès aux soins médicaux, qu’il soit libéré et qu’une enquête indépendante soit ouverte sur les mauvais traitements qu’il a subis en prison.

« Le problème est qu’il est pris en étau dans une affaire hautement sensible : un massacre commis par l’Etat », expose Khaled El-Balshy. Plusieurs tentatives pour le faire libérer ont été menées, auprès de la présidence, du chef du gouvernement, du ministère de l’intérieur… Des preuves ont été fournies pour attester de son statut de journaliste, de sa condition médicale, de sa non-appartenance à la confrérie des Frères musulmans. « On nous a rassurés. On nous a même assuré qu’il serait libéré, et au dernier moment quelque chose a bloqué », explique M. El-Balshy.

Shawkan est devenu un symbole. « Shawkan est un journaliste qui en représente des dizaines en Egypte. Les médias connaissent leurs pires années », poursuit M. El-Balshy. Trente journalistes sont en prison pour des motifs allant de l’appartenance à un groupe interdit, de l’atteinte à l’ordre public, de l’incitation à la violence, à l’appel à manifester, ou la diffusion de fausses informations.

Dix-huit autres sont actuellement poursuivis et risquent la prison. Neuf des journalistes emprisonnés ont des problèmes de santé et ne sont pas soignés. En mars 2016, le Syndicat de la presse a publié son premier rapport annuel sur les violations contre les journalistes et les médias. En 2015, 792 cas avaient été recensés : agression et raid contre des journalistes, interdiction de pratiquer, interdiction d’impression, censure d’articles, matériel confisqué ou détruit. La crise économique aggrave également le statut des journalistes, notamment indépendants, et de la presse.

Descente de police au Syndicat des journalistes

Pour la première fois en soixante-quinze ans d’existence, le Syndicat des journalistes a lui-même été la cible d’attaques. Le 1er mai, les forces de sécurité ont fait irruption dans ses locaux, au Caire, pour arrêter deux journalistes qui s’y étaient réfugiés pendant la dispersion d’une manifestation. Soixante-deux journalistes couvrant cette manifestation ont été arrêtés.

A la fin de mai, Yehya Kallache, le secrétaire général du syndicat, et deux de ses collaborateurs – dont M. El-Balshy – ont été arrêtés puis condamnés à deux ans de prison pour avoir abrité deux reporters, des « hommes recherchés par la justice ».

Libérés sous caution, ils attendent leur jugement en appel, le 25 décembre. « L’Etat est contre les libertés publiques. Il abhorre et craint la presse. Il a donc visé le syndicat et ce qu’il représente en tant que protecteur des libertés publiques et de la liberté de la presse », commente M. El-Balshy.

Les restrictions de la liberté de la presse ne sont pas nouvelles en Egypte. « Il n’y a jamais eu de presse libre en Egypte, assure M. El-Balshy. Après la chute d’Hosni Moubarak [l’ancien président, chassé du pouvoir en 2011] le peuple et la rue ont eu un nouveau pouvoir et les journalistes ont eu l’impression d’avoir plus de marges de manœuvre. Mais aujourd’hui, c’est la pire époque, car cette voix de la rue n’a plus sa place. »

De nouvelles restrictions de la liberté de la presse ont été introduites depuis 2013, sous couvert des lois antiterroristes, comme la censure sur les questions militaires ou l’interdiction de se rendre dans la péninsule du Sinaï, où les forces de sécurité tentent de mater une insurrection djihadiste.

Deux lois sur les médias en débat au Parlement

Deux lois sur la presse et les médias sont actuellement en débat au Parlement. Elles réintroduisent notamment la possibilité de placer en détention provisoire un journaliste pour ses écrits et accordent au président de la République la prérogative de nommer les présidents et un tiers des membres des trois instances supérieures des médias – qui accordent les permis de diffusion des médias. Le Conseil supérieur des médias pourra aussi interdire la diffusion d’un média étranger au prétexte d’empêcher la violation des valeurs de la société égyptienne.

« Ces lois vont étouffer ce qu’il reste du peu de liberté de la presse, conclut M. El-Balshy. L’Egypte connaît les pires cas de violations des droits de l’homme de toute son histoire. On est face à un régime dictatorial, qui a peur de la vérité et de tout mouvement qui serait capable de le mettre en péril. Il suppose que ce sont la société civile et les journalistes qui sont derrière ces mouvements. Il veut monopoliser la parole et faire taire la contestation. »