Le président turc Recep Tayyip Erdogan, le 7 décembre à Ankara. | ADEM ALTAN / AFP

Le Parlement turc devait examiner, samedi 10 décembre, la réforme constitutionnelle voulue par le président Recep Tayyip Erdogan, pressé de renforcer ses prérogatives après la tentative de coup d’Etat du 15 juillet. Dominant la scène politique locale depuis 2003, M. Erdogan a fait du passage au système présidentiel sa priorité.

Comme son Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) ne dispose pas de la majorité nécessaire (avec 317 députés sur les 367 requis) pour faire adopter les amendements par un vote du Parlement, il a obtenu le soutien du Parti d’action nationaliste (MHP, extrême droite) – 40 élus – pour convoquer un référendum d’ici au printemps 2017. « Le référendum devrait avoir lieu en mars ou avril, mais ce pourrait aussi être en mai », a indiqué le vice-premier ministre, Nurettin Canikli, à la chaîne de télévision A Haber.

Devlet Bahçeli, le chef des­ ­ultranationalistes, connu pour ses imprécations sur « Erdogan le voleur », est revenu à de meilleurs sentiments, puisqu’il s’affirme comme le plus ardent soutien du président qu’il présente aujourd’hui comme un gage de stabilité.

Premier président turc élu au suffrage universel, en août 2014, après avoir été onze ans premier ministre, Recep Tayyip Erdogan veut graver dans le marbre un état de fait, puisque c’est lui qui, actuellement, dirige l’exécutif et non le premier ministre, comme le voudrait la Constitution en vigueur, issue du coup d’Etat militaire de 1980. Jusqu’ici, la Turquie était une République parlementaire, le rôle du président étant en principe purement honorifique.

La réforme inverse la tendance. Le président gouvernera par décret. Il nommera le haut commandement militaire, le chef du service de renseignement, les recteurs d’université, certains hauts fonctionnaires et magistrats. Le Parlement deviendra une chambre d’enregistrement. La fonction de premier ministre sera supprimée. Deux vice-présidents seront nommés.

« Hyperprésidence »

Selon le projet, présenté au Parlement samedi, le cadre d’une éventuelle procédure de destitution est fixé, une première en Turquie où ni les chefs d’Etat ni les premiers ministres n’ont jamais eu à rendre de comptes. Le président pourra ainsi être déféré devant la Cour ­suprême si une motion recueille 367 voix au Parlement.

Censée entrer en vigueur en 2019, à la fin du mandat actuel de M. Erdogan, la réforme lui permettra malgré tout de jouir de certaines de ses nouvelles prérogatives juste après le référendum. Surtout, la nouvelle donne devrait lui permettre de se présenter à la présidentielle de 2019 et de rester au pouvoir jusqu’en 2024. Le mandat actuel n’étant pas pris en compte, il pourra échapper à la limite de deux mandats de cinq ans, prévue par l’actuelle Constitution, se porter à nouveau candidat en 2024, et s’il l’emporte, rester au pouvoir jusqu’en 2029.

Les partisans du « Baskomutan » (commandant en chef) – une évocation pompeuse de M. Erdogan devenue virale après le putsch raté – assurent que l’« hyperprésidence » est un gage de stabilité. « Si Dieu le veut, le système présidentiel mettra fin à l’ère des coalitions », a plaidé, vendredi, le premier ministre Binali Yildirim.

A l’inverse, les détracteurs de la réforme mettent en garde contre les dangers d’une trop grande concentration de pouvoirs entre les mains d’un homme connu pour ses penchants autoritaires et pour son mépris de la liberté d’expression. Dans la foulée du coup d’Etat raté, 39 274 personnes ont été mises en examen pour « soutien au terrorisme » et écrouées, 160 médias et plus de 500 associations ont été fermés.

L’état d’urgence imposé le 20 juillet (jusqu’en janvier 2017) permet à l’exécutif de gouverner par décret, sans l’aval du Parlement, sans limites à son pouvoir. Pas un jour ne se passe sans l’annonce de nouvelles arrestations, saisies et inculpations. Policiers, magistrats, professeurs d’université, députés, maires (dont 41 élus kurdes dans le sud-est du pays) sont actuellement incarcérés.

Disproportionnées, les purges violent le droit turc et international, ont souligné, vendredi 9 décembre, des experts du Conseil de l’Europe. « Cette façon de purger l’appareil d’Etat a une forte apparence d’arbitraire », affirment-ils.