Il y a quinze ans tout juste, la très officielle agence de presse Chine nouvelle célébrait le « courage » et la « prévoyance » d’une « grande nation », décidant de « rejoindre le torrent puissant de l’évolution économique du monde ». Le 11 décembre 2001, le géant asiatique intégrait officiellement l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Le « courage » de la Chine a manifestement payé car l’ex-empire du Milieu, de l’avis unanime des experts, a été ces quinze dernières années le grand gagnant de la mondialisation. Son entrée à l’OMC a été le déclencheur d’un formidable décollage de ses exportations. Sixième puissance exportatrice mondiale en 2000, elle s’est imposée à la première place dès 2010, tout en se hissant au rang de deuxième puissance économique mondiale, derrière les Etats-Unis.

« Si on avait demandé à l’époque aux négociateurs quel serait le poids de la Chine dans le commerce mondial en 2016, personne n’aurait imaginé cela », affirme Sébastien Jean, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii). Les pays partenaires en ont aussi tiré des bénéfices, l’afflux de produits bon marché « made in China » ayant permis d’accroître considérablement le pouvoir d’achat des consommateurs occidentaux.

« Une atmosphère de tensions très fortes »

Mais c’est d’abord l’image d’une Chine dont l’expansion a accéléré la désindustrialisation des Etats-Unis et de l’Europe qui cristallise aujourd’hui les débats. « L’anniversaire de son accession à l’OMC est célébré dans une atmosphère de tensions très fortes et de sentiment général de défiance à l’égard de la mondialisation », confirme M. Jean. Aux Etats-Unis, l’élection début novembre du républicain Donald Trump, adversaire revendiqué de la politique commerciale chinoise, en est le signe le plus éclatant.

Ce 11 décembre revêt aussi un caractère particulier en ce qu’il représente une date butoir juridique. Le protocole d’adhésion de Pékin à l’OMC permettait pendant une période transitoire de quinze ans de ne pas traiter la Chine comme une « économie de marché ». Autrement dit, ses partenaires étaient de facto autorisés à utiliser des moyens de représailles commerciales musclés contre la déferlante de produits chinois à bas coût. Désormais, cette dérogation devient caduque.

L’Europe est en première ligne car elle a choisi de fixer sa politique commerciale par la voie juridique. Dès le début du mois de novembre, la Commission européenne a proposé aux Etats membres une régulation de compromis. Selon cette troisième voie, le statut de la Chine serait normalisé mais les outils de défense commerciale seraient renforcés en cas de dumping avéré. Un enjeu crucial car des pans entiers de l’industrie européenne sont aujourd’hui menacés par les surcapacités chinoises. « Actuellement, 80 % des actions antidumping européennes concernent la Chine », rappelle François Godement, directeur du programme Asie et Chine du Conseil européen des relations internationales (ECFR).

Manque d’ouverture et de réciprocité dans l’accès à son marché

« Il est regrettable que l’on n’ait pas tenté d’anticiper cette échéance, estime de son côté Patrick Messerlin, professeur émérite à Sciences Po. Il y a une époque où la Chine était très désireuse de jouer le bon élève et si on lui avait dit : “On vous accorde plus rapidement le statut d’économie de marché en échange d’une accélération de vos réformes”, elle aurait sans doute été plus loin dans son ouverture. » Aujourd’hui, juge ce spécialiste de l’OMC, la transition risque d’être plus « chaotique » car « les Chinois sont en train de se raidir sur le sujet de l’antidumping ».

Dès le lundi 12 décembre, Pékin peut théoriquement déposer un recours devant l’OMC en affirmant que l’Europe ne respecte pas ses engagements. Un bras de fer avec l’Union européenne est-il pourtant dans son intérêt ? « Pas nécessairement, note Sébastien Jean. Plutôt que d’aller au conflit, les Chinois préféreront sans doute faire pression sur le processus en cours pour tenter de l’influencer en leur faveur. »

Cette hypothèse est renforcée par un contexte international plus incertain que jamais. « L’élection de Donald Trump incitera sans doute la Chine à une plus grande prudence sur ce dossier », explique François Godement. Nul ne sait quelles suites le président élu donnera à ses menaces d’une guerre commerciale contre Pékin, une fois installé, le 20 janvier, à la Maison Blanche. Mais la Chine ne peut risquer de s’aliéner en même temps ses deux principaux partenaires commerciaux.

La Chine n’ignore rien des reproches qui lui sont faits sur le manque d’ouverture et de réciprocité dans l’accès à son marché. C’était, outre l’intégration du pays dans l’économie mondiale, le deuxième objectif poursuivi par son inclusion dans l’OMC. « Il faudrait que les mots soient suivis, davantage qu’auparavant, par des réformes d’ouverture des échanges : Pékin en parle beaucoup, il est temps de passer à l’action. Maintenant », a insisté début décembre l’ex-directeur de l’OMC Pascal Lamy, lors d’une conférence à l’université du peuple à Pékin.