« LostWinds », l’un des premiers jeux WiiWare et l’un de ses rares succès. | Frontier

Cela fait dix ans cette semaine que la Wii est sortie en Europe. La machine de Nintendo et ses célèbres manettes à reconnaissance de mouvements appartiennent au club très fermé des consoles vendues à plus de 100 millions d’exemplaires. Des titres comme Super Mario Galaxy, Mario Kart Wii ou Wii Sports ont marqué une génération adepte de salopettes bleues et de golf miniature.

Mais la Wii, c’était aussi la console du grand public, celle qui a vu déferler des centaines de jeux un peu fauchés, un peu médiocres, espérant se vendre sur un malentendu, terminant dans les bacs à soldes de boutiques sans âme ou sur les étals de brocantes oubliées.

Et puis il y a les autres. Ces jeux dont personne n’a entendu parler. Dont personne ne faisait la publicité, et que pas grand monde achetait. Ces jeux, ce sont ceux du WiiWare, l’improbable service de téléchargement de la console.

Des jeux cultes…

Nintendo a réservé à la Wii une poignée de jeux, disponibles uniquement en téléchargement : Dr. Mario et Bactéricide, Pokémon Rumble ou encore Excitebike : World Challenge. Les autres éditeurs s’y sont aussi aventurés. Au cas où ce serait l’avenir. Les joueurs ont ainsi pu s’essayer à des épisodes inédits de Tetris, Contra, Castlevania. Namco s’est même risqué à offrir un titre dans un univers inédit, Muscle March : un jeu étonnant où il fallait courir derrière des culturistes en string.

« Muscle March », l’un des rares « gros » jeux totalement originaux du WiiWare. | Muscle March

Mais le WiiWare, cela a surtout été l’espoir, pour des milliers de petits développeurs, de pouvoir toucher le grand public sans passer par les cases « édition » et « distribution ». Une opportunité incroyable : l’AppStore d’Apple n’existe pas à l’époque et le XBLA, le « WiiWare de la Xbox 360 », n’a pas encore décollé.

Cet espoir est nourri dès le lancement du WiiWare en mai 2008 : davantage que l’épisode inédit de Final Fantasy, c’est LostWinds, petit jeu de plate-forme du studio britannique Frontier, qui retient l’attention. L’histoire d’un petit garçon qui contrôle les forces du vent, et que l’on contrôle en tenant sa manette comme une baguette de chef d’orchestre.

Le « World of Goo » de 2D Boy a mis le feu à la poudrière indé. | 2D Boy

Suivra World of Goo, jeu de réflexion, mélancolique et vaguement anticapitaliste. On considère que c’est lui, avec Braid et Castle Crashers, sortis à la même époque sur Xbox 360, qui lancera la vague du jeu vidéo indépendant grand public.

Dans la liste des développeurs ayant fait les (rares) beaux jours du WiiWare, on trouve Gaijin Games, dont BIT.TRIP RUNNER, un Super Mario Run avant l’heure, a fait ses débuts sur la console de Nintendo. Le nom du studio allemand Shin’en y est lui aussi fortement associé. Leur grand jeu oublié, Jett Rocket, est l’un des plus beaux de la Wii.

« Jett Rocket », de loin l’un des plus beaux jeux WiiWare. | Shin’en

Enfin, même si ses jeux sortaient aussi sur PC, le studio Telltale a fait ses premiers pas sur console grâce au WiiWare. Celui qui explosera des années plus tard grâce au jeu d’aventure The Walking Dead a réservé à Nintendo la primeur de ses premiers succès, Strong Bad’s Cool Game for Attractive People ou Tales of Monkey Island.

… et des ovnis

Mais on a aussi vu, sur WiiiWare, des étoiles filantes dont à peu près personne ne se souvient. Comme Max & the Magic Marker, dans lequel le joueur doit « dessiner » ses propres plates-formes pour éviter ennemis et obstacles. Il y a aussi eu l’ambitieux Rage of the Gladiator, jeu de corps-à-corps et rare titre à exploiter le Wii Motion Plus, accessoire capable de reconnaître avec précision les mouvements du joueur. Il faut également mentionner, pêle-mêle, le jeu d’exploration Robox, le titre de plate-forme NyxQuest : Kindred Spirits, ou encore le casse-tête Hydroventure.

« Rage of the Gladiator » était l’un des seuls titres à exploiter le Wii Motion Plus. | Ghostfire Games

Malgré tout, le service de téléchargement de Nintendo a été l’occasion pour des créateurs célèbres, qui ne se reconnaissaient plus dans les superproductions des années 2000, de revenir par la petite porte, au sein de studios à dimensions humaines. Ce fut le cas des créateurs de Elite, avec LostWinds, mais aussi de Kenji Eno, auteur de la célèbre série des D, qui a offert à la Wii son dernier titre, le jeu de réflexion You, Me, and the Cubes, avant de mourir quatre ans plus tard.

La palme de la bizarrerie revient plus probablement à Martin Hollis. Un Britannique qui, avec GoldenEye 007 ou Perfect Dark, a défini certaines des recettes du jeu de tir tel qu’on le pratique aujourd’hui. Autant dire que personne n’attendait de sa part Bonsai Barber, jeu de gestion de salon de coiffure où l’on coupe les tifs d’arbres anthropomorphes.

Martin Hollis, non content d’avoir inventé le jeu de tir sur console, est aussi le père des jeux de bonsaïs. | Zoonami

Constat d’échec

Pourtant, le WiiWare n’est jamais devenu le tremplin que les créateurs indépendants attendaient. Celui-ci est venu plus tard, avec l’AppStore, le XBLA, ou Steam sur PC.

Pour Toni Doublet, qui, en 2009, avec le studio marseillais Exkee, publie le jeu ColorZ, cela a été « une catastrophe ». Ce jeu a certes glané deux prix aux Milton (récompenses remplacées depuis par les Ping Awards), dont celui du meilleur jeu français de l’année, mais il ne rapportera pas un euro à Exkee. « Nintendo ne reversait de “royalties” que lorsqu’on dépassait 3 000 exemplaires vendus, regrette Toni Doublet. Aux Etats-Unis comme en Europe, on est arrivés juste en dessous ».

Malgré les récompenses, « ColorZ » n’aura pas rapporté un centime à ses développeurs. | Exkee

Des bons jeux qui ont échoué, les rayonnages virtuels du WiiWare en sont remplis. Nintendo, qui vend alors ses consoles par dizaines de millions, ne s’embête pas à faire de la publicité pour son service en ligne. « Je crois que ce n’est pas avant la dernière année de la vie de la Wii que Nintendo a enfin expliqué aux gens qu’on pouvait la connecter à Internet, se souvient Thierry Platon du studio BiP Media, dont certains jeux s’écoulaient à 50 000 exemplaires.

Même une fois en ligne, les galères ne font que commencer. L’interface de navigation n’était pas à la hauteur et l’interface de paiement se révélait complexe. « C’était infâme, trié par ordre alphabétique, rappelle Thierry Platon, qui en sourit aujourd’hui. A un moment donné, on s’amusait tous à mettre 1, 2, 3, ou un underscore [tiret bas] au début des noms de nos jeux, histoire d’être bien en haut. »

Un cauchemar de développeur

Développer pour WiiWare est tout sauf simple. Il faut s’engager à ne faire que de tout petits jeux : interdiction de dépasser 40 Mo de mémoire, soit le centième de ce que peut embarquer un DVD. Les développeurs de titres très attendus, comme Nightsky ou Super Meat Boy, renonceront pour cette raison.

« You, Me, and the Cubes », le dernier jeu de Kenji Eno. | fyto

Ajoutez à cela le piratage : « Pour pirater ColorZ, il suffisait de faire un copier-coller », se souvient, amer, Toni Doublet. Cerise sur le gâteau : pour Nintendo, pas question qu’un jeu WiiWare sorte aussi en boutique. Pourquoi, dès lors, faire l’effort de sortir un jeu sur cette plate-forme, tandis qu’en boutique n’importe quelle obscure simulation de poney peut prétendre atteindre 100 millions de clients potentiels ? Pour les développeurs, le choix est vite fait. Et sur WiiWare, l’offre en jeux intéressants se tarit vite.

C’est ainsi que sur 450 jeux (dont un bon tiers reste inédit en Europe), très peu ont connu les feux de la rampe, ou alors plus tard, sur d’autres supports. En 2012, la Wii U succède à la Wii. Les jeux WiiWare y sont toujours téléchargeables (via le « Menu Wii »). Mais ce n’est toujours pas l’eldorado des indés tant attendu. « J’espère que, pour la Switch, ils feront des efforts », conclut Thierry Platon, évoquant la prochaine console du constructeur japonais.