Plusieurs milliers de personnes ont pris part mercredi soir à Skopje à des manifestations émaillées de heurts avec la police, contre l'amnistie de responsables politiques décrétée par le président Ivanov, une décision qui enfonce la Macédoine dans une crise politique. | Boris Grdanoski / AP

Après deux jours de manifestations pacifiques, des heurts sérieux ont éclaté à Skopje, mercredi 13 avril, où un projet d’amnistie annoncé par le président de cette petite république des Balkans met le pays en émoi. Dans la soirée, des milliers de personnes sont à nouveau descendues dans la rue, exigeant la démission de Gjorge Ivanov.

La manifestation a rapidement laissé place à des affrontements à la police, pendant que des groupes de protestataires convergeaient vers plusieurs centres de pouvoir de la capitale macédonienne. Selon des comptes rendus encore flous, ils auraient réussi à s’approcher d’un bureau de la présidence ainsi que du ministère de la justice, et auraient été bloqués à proximité du siège du parti conservateur au pouvoir, le VMRO-DPMNE.

Des bâtiments administratifs pris d’assaut

Des images de dégradations de plusieurs bâtiments circulaient dans la soirée sur les réseaux sociaux, ainsi que d’autres montrant des arrestations et des blessés. La situation est d’autant plus tendue qu’une partie des forces de police est mobilisée dans le sud du pays, à la frontière avec la Grèce, que des centaines de migrants tentent régulièrement de franchir.

C’est une décision du président Ivanov, annoncée mardi à la surprise générale, qui a mis le feu aux poudres : une amnistie préventive pour les responsables politiques menacés de poursuites judiciaires. Le décret signé par le président concerne une cinquantaine de personnalités, principalement des membres du VMRO-DPMNE poursuivis dans le cadre de l’affaire des écoutes massives opérées par le gouvernement de Nikola Gruevski, un scandale qui a plongé la Macédoine dans une grave crise politique il y a déjà plus d’un an.

Le président, qui s’était vu octroyer un pouvoir de grâce il y a trois mois par la Cour constitutionnelle, a assuré avoir pris sa décision sans consulter aucun parti politique. Mais cette amnistie paraît taillée sur mesure pour venir en aide au VMRO-DPMNE, qui a porté M. Ivanov à la présidence en 2009. Celui-ci a exprimé son « désaccord » avec la décision de M. Ivanov, mais sans convaincre les manifestants, qui estiment que l’homme fort du pays, M. Gruevski, continue de tirer les ficelles depuis sa démission au mois de janvier.

Soupçons de corruption et de torture

Au-delà de leur caractère illégal, ces écoutes – qui auraient concerné 20 000 personnes – ont révélé un contrôle étroit du pouvoir sur la presse, sur la conduite des élections ou sur les nominations dans la fonction publique. Elles ont aussi alimenté des soupçons de corruption et de torture d’opposants politiques.

Au printemps 2015, ces révélations avaient poussé des dizaines de milliers de personnes dans la rue, et creusé le fossé entre le pouvoir et l’opposition. Médiatrice dans cette crise, l’Union européenne avait obtenu de Skopje la nomination d’un procureur spécial pour enquêter sur ces accusations. Depuis, des poursuites ont été lancées notamment contre les anciens ministres de l’intérieur et des transports, et contre l’ancien chef des services secrets, cousin de M. Gruevski.

Mardi, le président Ivanov avait explicitement fait le lien avec ces poursuites, évoquant une crise « alimentée de l’étranger ». « Les représentants de la communauté internationale s’introduisent dans nos tribunaux pendant que les juges essaient de faire leur travail », a-t-il dit, assurant vouloir contribuer à « mettre un terme à la crise ».

L’opposition dénonce un « coup d’Etat »

« C’est précisément l’inverse qui va se produire, estime le journaliste Borjan Jovanovski, qui dirige une télévision indépendante. Cette décision enterre la partie judiciaire de l’accord de sortie de crise, alors que sa partie politique est déjà en grande difficulté. » Cet accord conclu sous l’égide de l’UE prévoyait en effet le retrait du premier ministre Gruevski, effectif depuis le mois de janvier, mais aussi des élections anticipées, prévues au mois de juin après avoir été reportées une première fois. La semaine passée, l’opposition sociale-démocrate a annoncé son refus d’y participer, disant craindre que celles-ci soient truquées.

Mardi soir, son chef, Zoran Zaev, a qualifié la décision du président de « coup d’Etat » et appelé les Macédoniens à descendre dans la rue pour exiger la démission de Gjorge Ivanov. Il avait été immédiatement entendu par plusieurs milliers de personnes. Le chef de l’opposition, également poursuivi dans le cadre de l’enquête sur les écoutes illégales, a dit vouloir refuser l’amnistie présidentielle.

L’opposition a aussi reçu l’appui des chancelleries occidentales. Dès mardi, la représentation de l’UE en Macédoine exprimait sa « profonde préoccupation » et appelait le pays, candidat à l’adhésion à l’UE et qui ambitionne de rejoindre l’OTAN, à « garder le cap euro-atlantique ». « Les mesures prises aujourd’hui par le président Ivanov ne correspondent pas à ma définition de l’Etat de droit », a écrit de son côté sur Twitter le commissaire en charge de la politique européenne de voisinage, Johannes Hahn. « Au vu de cette évolution, je doute fortement que des élections crédibles soient encore possibles », a-t-il ajouté. Les Etats-Unis ont également exprimé leur « préoccupation quant au respect de l’Etat de droit ».

La double pression internationale et de l’opposition n’a pas ébranlé Gjorge Ivanov. Mercredi, en déplacement à la frontière grecque, le président a lâché aux journalistes : « Ce que j’avais à dire, je l’ai dit hier. Je reste là-dessus. »