Julie, au Cambodge, le 23 avril. | Alain Issock/ALP/TF1/Starface

C’est fini. Les projecteurs sont éteints. Le vendre­di 9 décembre, après quatorze épisodes et presque trente heures d’émission, TF1 a diffusé le dernier acte de la 15e saison de « Koh-Lanta ». De ce jeu d’aventure où vingt candidats se sont affrontés pendant quarante jours sur une île déserte du Cambodge, on retiendra un personnage qui a suscité un nombre ­incalculable de discussions, à la machine à café ou sur les réseaux sociaux : Julie, une Perpignanaise de 38 ans. « Mais que fume-t-elle ? » « Est-elle vraiment comme ça dans la vie ? »

D’abord perçue comme lunaire, naïve, agaçante ou ridicule, cette jeune femme a ­finalement intrigué, amusé et ­séduit. Ingénue certes, mais si ­lumineuse ! Chantant toute la journée le répertoire des princesses Disney ou criant sa joie (terriblement communicative) d’avoir pêché un gros coquillage, Julie, qui ne souhaite pas que son nom apparaisse, a rayonné. Si bien qu’on a envie de comprendre d’où lui vient sa force. « Au bout du compte, elle est inspirante. On se demande ce qu’elle a bien pu manger et on en prendrait bien une cuillère nous aussi, juste pour essayer », assure la psychologue Florence Servan-Schreiber, coauteure de La Fabrique à kifs (Marabout, 288 pages, 16,90 euros).

Faire partager son bonheur

Loin d’être une rêveuse hors-sol, la candidate de télé­réalité a bien conscience de sa ­capacité à faire partager son bonheur. « Les gens m’ont remerciée d’avoir égayé leurs vendredis soir. Ils ont perçu de l’humanité derrière mon caractère sincère. Le sourire, c’est très important pour rendre le quotidien plus sympathique et ensoleillé », nous dit-elle.

Koh-Lanta, l'île au trésor : Julie chante qu'elle est "Le roi du monde", Twitter est partagé
Durée : 01:59

Avant de rejoindre son mari dans son cabinet dentaire, la jeune femme a d’ailleurs fait partie de l’association des Blouses roses à l’hôpital et travaillé une quinzaine d’années comme animatrice auprès de personnes âgées et d’adultes handicapés. Loin des caméras, peut-être ­retombera-t-elle, com­me nombre de ses compagnons d’aventure, dans l’oubli. Mais en attendant, cette Julie a instillé une pointe de doute chez les horribles cyniques que nous sommes. N’a-t-elle pas raison, dans le fond ? Et tous ces candides, qu’on a pu tourner en dérision, n’ont-ils pas, eux aussi, un don pour voir la vie du bon côté ?

« Qu’il s’agisse d’une personne au QI peu élevé qui, comme certains trisomiques, est heureuse de nature, d’un individu immature qui voit les choses comme un enfant ou de quelqu’un qui a choisi de vivre l’instant présent sur un mode positif, la grandeur d’âme de ces gens étonne et interpelle », analyse la psychiatre Pascale Bouthillon-Heitzmann. La réaction du groupe face à de tels comportements est souvent la moquerie. « En France, nous avons une tradition intellectuelle très forte, il est beaucoup plus stylé d’être contre quelque chose. Commencer sa phrase par oui, mais, c’est la preuve d’un ­début de réflexion », explique ­Florence Servan-Schreiber.

Benêt, nunuche, godiche

Le langage offre une multitude de mots pour nommer cet­te différence. Les employer, c’est déjà choisir son camp. D’un côté, des adjectifs comme « simple », « naïf », « niais », « nigaud », « nunuche », « ingénu », « benêt », ­ « godiche », « lunaire ». Et de l’autre – la liste est plus courte –, « spontané », « frais », « solaire », « bon » ou « confiant ». Julie, elle, préfère se voir en « femme-enfant ».

Parmi ces mots, il y en a un, « optimiste », qui se pose sur le fil, avec un certain équilibre ­sémantique. Il existe d’ailleurs une Ligue des optimistes des plus sérieuses. Outre les quelque dix mille abonnés à sa newsletter hebdomadaire, cette organisation compte parmi ses adhérents Erik Orsenna, Eric-Emmanuel Schmitt, Jean d’Ormesson ou Matthieu Ricard. Autant de figures auxquelles il est difficile de faire un procès en naïveté. Pourtant, les optimistes assumés sont habitués à devoir se défendre.

« Sans candeur et sans naïveté, donc en toute lucidité, est-ce qu’on tomberait amoureux ? » interroge Philippe Gabilliet, porte-parole de la Ligue des optimistes de France et professeur à l’école de commerce ESCP Europe. « Si on veut faire de grandes choses, il faut prendre le risque de la naïveté et accepter de baisser la garde intellectuellement. » Comme un défi, il ajoute : « Essayez donc de changer le monde avec le pessimisme ! » Selon lui, l’optimisme, quand il n’est pas passif, permet de déplacer des montagnes – le dalaï-lama, sœur Emmanuelle, l’abbé Pierre ou Gandhi l’ont montré. Pourtant, si ces grands sages ont pu émerger, c’est aussi grâce à leur charisme exceptionnel.

« Certes, elle peut agacer, mais une Julie dans une équipe, ça crée un groupe uni, fort et harmonieux », Corinne Vaillant, réa­lisatrice de « Koh-Lanta »

Elle fait du bien aux gens », De tels cas restent rares. Car les grands optimistes, candides heureux et autres ingénus ­lumineux, ne parviennent pas à éclairer les hautes sphères de la société. Vous en trouverez difficilement à la direction générale d’un grand groupe, dans la ­finance ou parmi les candidats à une élection présidentielle. Et pour cause : ce ne sont pas des conquérants. « Ils n’ont pas les dents aussi longues que les autres et ils ont souvent des failles. Ces personnalités fragiles peuvent ­facilement être blessées par la vie, par les autres », estime Pascale Bouthillon-Heitzmann. Ce qui ne les empêche pas d’être fédérateurs. « Certes, elle peut agacer, mais une Julie dans une équipe, ça crée un groupe uni, fort et harmonieux. Elle fait du bien aux gens », estime Corinne Vaillant, réa­lisatrice de « Koh-Lanta », chez ­Adventure Line Productions.

Et si, finalement, il y avait dans ce personnage de télé­réalité une forme d’élévation ? « Elle chante tout le temps, elle sourit, elle égaie son entourage : il y a de l’Amélie Poulain et de la Mary Poppins chez elle. Elle s’inscrit dans la lignée de ces héroïnes féminines qui sont un peu des magiciennes du quotidien », analyse Jolanta Bak, directrice du cabinet de ­conseil en stratégie Amarcord. Les candides, des héros qui s’ignorent : voilà en tout cas une bonne raison de ne pas être cynique.

Cinq conseils pour être un naïf accompli

Comme Julie, réapprenez l’émerveillement. Pour cela, vous pouvez vous inspirer de la liste de Florence Servan-Schreiber (coauteure de La Fabrique à kifs, avec Audrey Akoun et Isabelle Pailleau, Editions Marabout).

1. Vivre trois kifs par jour. Quand son équipe parvient à allumer un feu, Julie danse autour des premières flammes en chantant : « On a le feu ! On a le feu ! » A votre tour, réjouissez-vous des petits bonheurs du quotidien : acheter le dernier paquet de céréales au supermarché, trouver une place dans le métro. Si possible sans danser ni chanter.

2. Dire des mots d’amour. Téléphone satellite en main, devant tous ses coéquipiers, les caméras et le présentateur, Denis Brogniart, Julie chuchote à son mari : « Mon amour, quand je reviens on fera un petit bébé ! » Vous aussi, exprimez vos sentiments à vos proches régulièrement. La démonstration publique n’est pas obligatoire, un SMS peut suffire.

3. Garder un regard d’enfant. Après avoir échappé de justesse à une élimination, elle chante sa version de La Reine des neiges : « Libérée, délivrée, je vais continuer… » A chaque situation difficile, demandez-vous si ce problème compterait autant si vous aviez 8 ans. Vous verrez que tout paraît moins grave – sauf si votre conjoint vient de manger le dernier Haribo.

4. Faire confiance au hasard. Julie parle à la Lune pour lui confier des messages à transmettre à son amoureux resté en France. Ne soyez pas si cyniques : peut-être qu’ils lui parviendront. Croyez aux heureuses coïncidences, un peu comme lorsqu’un ami auquel vous veniez justement de penser vous téléphone…

5. Admirer la nature. La candidate s’extasie devant un coucher de soleil orangé ou en découvrant des chauves-souris. Comme elle, il faut apprendre à s’émerveiller de la lumière rose du soir posée sur un monument ou du parfum d’une feuille de figuier, pour relativiser nos prétentions face à l’immensité du monde. Attention cependant aux coups de soleil.