Les différentes promotions de l’Ecole nationale d'administration, dans le hall de l’établissement à Strasbourg, en 2009. | VINCENT KESSLER / Reuters

Le record de décembre 2013 semble un lointain souvenir : cette année-là, 45 % des admis à l’ENA étaient des femmes. Trois ans plus tard, celles-ci ne constituent plus qu’un gros tiers de la nouvelle promotion. Et si l’on se concentre sur le concours externe, la principale voie de recrutement, les hommes y représentent trois quarts des reçus.

La nomination de Nathalie Loiseau à la tête de l’ENA, à la fin de 2012, avait pourtant suscité l’espoir d’une ère plus favorable aux candidates. Deuxième femme à diriger la prestigieuse Ecole nationale d’administration, avec pour autre particularité de ne pas être énarque, elle affirme dès son arrivée son souhait de « corriger » au concours, ce qui relève, « implicitement, d’une discrimination positive en faveur des hommes ». Un rapport jusque-là gardé secret semble d’ailleurs montrer la voie : statistiques à l’appui, il établit que les femmes obtiennent de bons résultats aux écrits du concours, mais sont bien plus nombreuses à être éliminées que les hommes aux épreuves orales.

Le concours interne réussit mieux aux candidates

En 2013 donc, alors que le jury décide d’« accentuer la finalité professionnelle » de l’un des oraux, l’épreuve d’entretien, et qu’il bénéficie d’une formation pour déceler les biais inconscients, la promotion intègre 36 femmes, sur 80 élèves, rapprochant enfin l’ENA de la parité. C’est au concours interne, réservé aux personnels de la fonction publique, qu’elles surclassent largement leurs collègues masculins. Mais même au concours externe, elles réussissent un peu mieux que les hommes à l’oral : « Une heureuse inversion de tendance », alors saluée dans le rapport du jury.

L’embellie ne dure pas. L’année suivante, la promotion ne compte que 29 % de femmes. En 2015, le concours d’entrée, réformé afin de diversifier le recrutement, n’y parvient que modérément : 36 % des admis sont de sexe féminin, et cette part a diminué de quelques dixièmes cette année. Selon les résultats 2016, publiés au début de décembre, le concours interne continue de mieux réussir aux candidates qu’aux candidats. Le troisième concours, réservé aux salariés du privé, reste très masculin, mais ne donne accès qu’à 9 des 90 places ouvertes. C’est donc au concours externe que s’est jouée la faible féminisation de la promotion : elles ne sont que 11 sur un total de 43 admis.

Comment expliquer que les femmes dépassent à peine le quart des reçus par la voie la plus classique et la moins étroite, ouverte aux étudiants titulaires d’un bac + 3 ? Et que cette proportion reste inchangée depuis trois promotions, alors que les femmes constituaient auparavant 30 % à 40 % des admis au concours externe ? Sollicité, l’ENA nous a communiqué l’ensemble des chiffres nécessaires à l’analyse.

Echec lors des épreuves écrites

Premier constat, le concours externe attire moins les femmes : depuis 2012, elles représentent environ 40 % des candidats, contre 45 % auparavant. « Il y a une légère érosion, surtout si on compare leur taux relativement faible avec le fait que les femmes sont majoritaires à Sciences Po, en Ecole d’administration publique ou en prep’ENA », reconnaît Fabrice Larat, directeur adjoint de la formation à l’ENA, également à la tête du Centre d’expertise et de recherche administrative (CERA).

Second point : les oraux ont bel et bien cessé d’éliminer massivement les femmes, même si ces épreuves leur demeurent moins favorables qu’aux hommes. Depuis trois ans, c’est aux épreuves écrites que les candidates échouent largement ; leur part parmi les admissibles s’effondrant même à 27,37 % cette année. « Dans le passé récent, il y a déjà eu des variations d’une année sur l’autre dans le sens d’une augmentation ou d’une baisse de la proportion de femmes. Et trois années ne suffisent pas à faire une tendance, d’autant que, dans l’intervalle, le concours a été réformé », estime Fabrice Larat.

« Moins nombreuses à se présenter » ?

Pour le directeur de recherche au CNRS spécialiste de la fonction publique, également chercheur au Cevipof, Luc Rouban, ces chiffres posent néanmoins question, « d’autant qu’en général, les femmes réussissent mieux que les hommes les examens à l’écrit » : leur échec plus fréquent ne pouvant s’expliquer par des discriminations liées au sexe – les copies sont anonymes – il laisse penser que le niveau des candidates serait plus hétérogène que celui des candidats.

« On peut formuler l’hypothèse que les étudiantes brillantes sont moins nombreuses qu’avant à présenter ce concours, estime Luc Rouban. Elles pensent peut-être qu’il leur est plus difficile qu’aux hommes de faire carrière dans la fonction publique – difficulté que j’ai constatée durant mes travaux. Et que le secteur privé leur sera plus favorable. »

« La fonction publique ferait-elle désormais figure de repoussoir pour les femmes très brillantes ? », s’interroge le sociologue. Une loi a pourtant instauré en 2013, sous peine de pénalités financières, un quota de femmes parmi les hauts fonctionnaires nommés chaque année. Fixé à 20 % puis 30 %, il doit passer à 40 % en 2017.