Kinshasa s’en remet à Dieu, ou du moins à ses ministres. L’avenir de la République démocratique du Congo (RDC), plus grand pays d’Afrique, se joue en effet ces jours-ci au deuxième étage d’un petit immeuble austère du centre-ville, siège de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco). Vendredi 9 décembre, une trentaine de politiciens congolais de tout bord s’y sont retrouvés sous les bons auspices de Mgr Marcel Utembi. L’air grave et le pas lent, l’ancien évêque de Kisangani a eu tout le loisir de méditer sur la folie du pouvoir terrestre, entre les 4X4 rutilants de la majorité présidentielle et de l’opposition.

Géant d’Afrique sans gouvernement

L’Eglise congolaise n’a que quelques jours pour mener à bien ce dialogue inclusif et arracher un consensus qui permettrait d’éviter l’explosion. Le second mandat du président Joseph Kabila prend fin le 19 décembre. La Constitution lui interdit de se représenter, mais le président a su jusque-là manœuvrer, usant de la force et de la ruse pour contenir les manifestations, diviser l’opposition et faire « glisser » des élections, reportées à avril 2018. Restent à savoir quels seront les contours de ce qui s’annonce comme une transition à la tête de l’Etat.

Officiellement, le géant d’Afrique centrale n’a plus de gouvernement depuis le 14 novembre. Un nouveau premier ministre a toutefois été nommé le 17 du même mois par Joseph Kabila. Comme convenu en octobre avec une partie de l’opposition et de la société civile lorsqu’il a négocié son maintien au pouvoir durant seize mois, le chef du gouvernement est désormais issu de l’opposition. Mais la frange consensuelle, domptable, et non radicale de l’opposition.

Le chef d’Etat a désigné Samy Badibanga, un ancien disciple de l’opposant historique Etienne Tshisekedi. Ce dernier, âgé, malade mais toujours influent, s’est refusé à participer au « dialogue » d’octobre facilité par l’Union africaine, de même que son allié au sein de la coalition de l’opposition, le « Rassemblement », l’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi.

De fait, la nomination de Samy Badibanga a aussi douché les espoirs de Vital Kamerhe, ancien président de l’Assemblée nationale à qui le président avait confié la direction de sa campagne en 2006. Rompu aux arcanes du système Kabila, M. Kamerhe pensait que le poste de premier ministre lui reviendrait.

Quête de compromis et de postes

Ce sont ainsi des politiciens avides d’intrigues qui se sont présentés à la Conférence épiscopale vendredi. Au compte-gouttes, ils ont franchi le vieux portail rouillé, rejoint leurs alliés, salué froidement leurs adversaires, croisé des diplomates en soutane venus en voisin. La nonciature apostolique jouxte le bâtiment historique de la Cenco où plane toujours l’ombre tutélaire du cardinal Joseph-Albert Malula, cet esprit libre partisan d’une africanisation de l’Eglise qui avait osé défier Mobutu Sese Seko et lutter pour la démocratisation. Depuis, les prélats ont soutenu ou combattu les pouvoirs en place.

Cela fait plus d’un an, discrètement ou de manière officielle, que l’Eglise tente de convaincre Joseph Kabila de quitter le pouvoir et œuvre à un accord avec ses opposants. Elle s’était refusé à rallier les rassemblements anti-Kabila en janvier mais s’était retirée du dialogue politique en septembre pour protester contre la répression de manifestations qui avait fait plusieurs morts. Aujourd’hui, il y a urgence.

Outre l’Union africaine, des diplomates occidentaux, africains et des chefs d’Etat de pays voisins ont tenté des médiations. Mais les hommes de Dieu sont, semble-t-il, les seuls capables de raisonner des politiques déterminés, conscients que compromis et maroquins s’arrachent au bord du gouffre. Combien de temps tiendra le discret nouveau premier ministre Samy Badibanga ? A voir. Son ami, Félix Tshisekedi, fils du « sphinx de Limete » ne reconnaît pas son autorité. Le Rassemblement négocie déjà son poste en échange d’un appel au calme et pourrait accepter un « glissement », mais jusqu’en 2017 seulement.

« On ne veut pas de drame »

Dans la cour de la Cenco, chacun voit l’après 19 décembre à sa porte. « Face au vide entretenu par la majorité, le peuple congolais est en droit d’espérer un nouveau président, explique Delly Sesanga, député de l’opposition. « On ne veut pas de drame, il faut parvenir à un consensus », tempère Vital Kamerhe. « La Constitution ne se négocie pas, elle s’applique, lâche avec verve Valentin Mubake, l’un des représentants d’Etienne Tshisekedi. Quand vous avez épuisé deux mandats, vous n’avez plus le droit de rester un seul jour de plus. » « Il faut commencer par discuter et voir comment élargir le consensus obtenu lors du précédent dialogue politique », insiste le porte-parole du gouvernement, Lambert Mendé.

« Kabila n’est-il pas en train de nous piéger ? On marche ici à pas feutrés, on continue de dire au peuple que le 19, il doit partir. Mais si on se rate, ce sera la catastrophe car les politiciens ne pourront plus tenir le peuple » Martin Fayulu, député de l’opposition

Et le député de l’opposition Martin Fayulu de résumer : « Est-ce que Kabila n’est pas en train de nous piéger ? s’interroge-t-il. On marche ici à pas feutrés, on continue de dire au peuple que le 19, Kabila doit partir. Mais on sait que si on se rate ici, à la Cenco, ce sera la catastrophe à Kinshasa et dans le reste du pays car les politiciens ne pourront plus tenir le peuple. »

Des positions connues et rabâchées depuis des mois. Les négociations directes n’ont pas encore démarré. Les tractations informelles se sont poursuivies durant le week-end, dans les bureaux d’avocats influents ou de partis politiques, dans les hôtels ou à la sortie de la messe dominicale. Tout devrait être bouclé en trois jours. Résumant l’esprit des diplomates qui tentent d’éviter un nouveau basculement de la RDC dans une période d’instabilité et de violences, Thomas Perriello, l’envoyé spécial des Etats-Unis pour les Grands-Lacs, juge ainsi que « ces premières négociations réellement inclusives sont une fine lueur d’espoir au milieu d’une situation très inquiétante (…) Leur succès n’est pas garanti mais sans elles l’échec est assuré ».

Malgré la date du 19 décembre qui approche à grands pas, le dialogue politique de la Cenco ne doit reprendre que mardi. D’ici là, les délégués doivent réfléchir en commission sur des questions aussi cruciales que le respect de la Constitution, le calendrier électoral et le financement des prochaines élections, mais aussi la forme qu’aura cette transition politique hybride. Le pays entier est suspendu à ces négociations. Il se dit déjà que le 19 décembre ne serait qu’une étape.