Un débat télévisé inédit a eu lieu, vendredi soir 9 décembre, entre les candidats à la présidence de la Commission de l’Union africaine (UA) au siège d’Addis-Abeba. Si l’événement a été massivement suivi, notamment sur les réseaux sociaux africains, ces derniers ont tout fait, sauf débattre.

« On a eu chaud ! » Une expression familière pour exprimer le soulagement des organisateurs en Ethiopie. Pour la première fois, la Commission de l’UA organisait une rencontre entre les potentiels successeurs de la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma qui occupe la fonction depuis quatre ans. Un débat inédit donc, retransmis en direct sur tout le continent, pour « démocratiser » une organisation souvent accusée d’être déconnectée de ses citoyens.

Mais l’initiative portée par l’Académie de leadership de l’UA n’a pas été du goût de tout le monde. Des voix se sont élevées jusqu’à la dernière minute pour tuer dans l’œuf un débat considéré comme « nul et non avenu » à qui l’on reprochait un côté trop « télé-réalité » ne servant qu’à « amuser la galerie ».

Eviter les sujets « embarrassants »

Surtout, « certains avaient peur que des candidats ne maîtrisent pas certains dossiers », confie un fonctionnaire du département paix et sécurité de l’UA. D’autres étaient inquiets des « répercussions politiques » en cas d’affrontements directs entre concurrents, d’après un diplomate ouest-africain. Les prétendants au poste ont conditionné leur participation à des exigences claires : éviter les sujets « embarrassants » et faire de ce débat une tribune pour exposer leur vision.

Ce sont donc des échanges policés entre des candidats bien préparés qui ont finalement eu lieu. Chacun a décrit son programme en trois minutes maximum par thématique sous peine de coupure de micro. Tous ont balayé les questions de libre circulation sur le continent, de promotion des femmes et des jeunes, de financement de la Commission et de la paix et de la sécurité. Sans jamais débattre.

Le retrait de la Cour pénale internationale, la réintégration du Maroc dans l’UA et les droits du mouvement lesbien, gay, bisexuel et transsexuel (LGBT) ont été eux soigneusement évités. L’un des modérateurs du débat a admis être « frustré » de ne pas avoir pu poser toutes les questions qu’il aurait souhaité aborder. « Ça en dit long sur la démocratie en Afrique », a ironisé de son côté un diplomate.

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Durée : 04:03

L’événement était surtout une façon de « découvrir les visages des candidats » et leur programme. Pelonomi Venson-Moitoi, la ministre des affaires étrangères du Botswana, a rappelé son expérience de quatre décennies dans la fonction publique. Son homologue tchadien Moussa Faki Mahamat a mis en valeur sa maîtrise des sujets sécuritaires tandis que l’Equato-Guinéen Agapito Mba Mokuy s’est présenté comme le candidat de la jeunesse africaine.

Le Sénégalais Abdoulaye Bathily, lui, a insisté sur sa « conviction » pour la cause de l’unité africaine. Et la Kényane Amina Mohamed a évoqué son savoir-faire sur les questions économiques et commerciales, et la nécessité de « rapprocher l’Union africaine des populations africaines ».

« Vulgariser les instruments et les outils de l’UA »

« C’était un exercice intéressant, car cela a permis de connaître leurs styles, même si les différences ne sont pas criantes sur le fond », analyse Yann Bedzigui, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) d’Addis-Abeba.

« Le souci principal était de vulgariser les instruments et les outils de l’UA », estime le ministre tchadien Moussa Faki Mahamat au Monde Afrique. Et concernant l’absence de débat ? « Certains candidats ne souhaitaient pas que l’événement soit interactif, c’est le compromis qui a été trouvé. » « Qu’il s’agisse d’un débat ou de l’expression de nos idées, cela m’est égal. Ce qui est important, c’est de prouver ce qu’on peut donner à l’Afrique », a fait savoir le ministre équato-guinéen Agapito Mba Mokuy.

Sur Twitter, l’événement a été massivement suivi, cumulant plus de 53 millions d’« impressions » selon des statistiques partagées par la Commission. « L’exercice a ses limites notamment en termes d’interactions avec les citoyens africains qui, caricaturalement, peuvent regarder mais pas se prononcer. Il aurait fallu réserver une partie du débat à des questions posées par le public », poursuit le chercheur Yann Bedzigui. Car d’un point de vue strictement juridique, l’organe décisionnaire de l’UA demeure la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement africains : ces derniers seront les seuls à voter fin janvier lors du Sommet de l’UA à Addis-Abeba. « Cela illustre la tension entre l’ambition de faire de l’UA une union des citoyens et sa réalité qui est celle d’une organisation strictement intergouvernementale », conclut Yann Bedzigui.