Marine Martin, présidente de l’association qui regroupe des familles de victimes de l’anti-épileptique Dépakine, le 24 août 2016. | BERTRAND GUAY / AFP

La première action de groupe en santé est lancée mardi 13 décembre par l’association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant (Apesac) contre le laboratoire Sanofi. Marine Martin, la présidente de l’association, qui fédère près de 2 900 familles victimes de la Dépakine, de la Dépakote ou du Dépamide explique pourquoi elle a choisi le recours à cette action de groupe créée par la loi santé promulguée en janvier 2016. Elle-même a pris ce traitement lorsqu’elle était enceinte. Ses deux enfants présentent des handicaps.

Pourquoi avoir choisi de lancer une action de groupe contre le laboratoire Sanofi ?

Marine Martin : L’Apesac dépose devant le tribunal de grande instance de Paris une assignation qui présente quatorze dossiers très solides pour établir la responsabilité de Sanofi dans les malformations et les troubles du développement chez des enfants dont les mères avaient reçu un traitement à base de valproate de sodium (Dépakine, Dépakote ou Dépamide) pendant leur grossesse.

Ces dossiers vont servir de « voiture-bélier » pour ouvrir la voie afin que des centaines de familles de victimes puissent bénéficier de ce jugement et être indemnisées. Cette démarche vient s’ajouter aux différentes actions déjà engagées au civil et au pénal. Elle est complémentaire des autres actions. Elle ne s’y substitue pas.

Jusqu’à cet été, vous aviez pourtant émis des doutes sur l’intérêt de cette nouvelle procédure…

C’est vrai qu’au moment des débats sur la loi santé, en 2015, nous aurions préféré la création d’un fonds d’indemnisation général pour toutes les victimes de médicaments. Il aurait été financé par le prélèvement d’un pourcentage du chiffre d’affaires des laboratoires, sur le modèle de ce qui se fait pour les accidents de la route. Ce mécanisme, auquel s’est opposée la ministre de la santé, Marisol Touraine, aurait été selon nous plus simple et plus efficace que l’action de groupe.

Nous utilisons aujourd’hui cette action de groupe comme une possibilité judiciaire supplémentaire pour les familles de faire reconnaître la responsabilité du laboratoire. Si elles se font retoquer d’un côté, elles passeront de l’autre.

Les pouvoirs publics vous ont-ils soutenu dans vos démarches ?

Nous n’avons eu aucune réponse aux questions que nous avons posées aux ministères de la santé et de la justice concernant la mise en œuvre de l’action de groupe. De façon plus générale, rien ne se serait passé si je n’avais pas alerté les pouvoirs publics depuis 2011 sur les effets secondaires du valproate de sodium. Jusqu’en février 2016, Marisol Touraine n’avait d’ailleurs pas saisi l’importance du dossier.

Comment avez-vous pu faire émerger le scandale de la Dépakine ?

En fédérant les familles et en les convainquant de l’importance de leurs témoignages, les médias ont compris l’ampleur de cette affaire et l’ont relayée. Mme Touraine a fini par réagir sans doute parce qu’elle n’a pas eu envie de gérer un deuxième scandale comme celui du Mediator. Mais je ne suis pas dupe. Nous sommes en période pré-électorale et pour le gouvernement, il ne fallait pas que ce dossier prenne des proportions gigantesques. En effet, sur les dernières années, on estime que 14 000 femmes auraient été exposées. Le nombre de victimes potentielles est donc considérable. De plus, ce sont des enfants qui ont été touchés, ce qui rend ce dossier si délicat.

Qu’avez-vous obtenu depuis la création de l’association en 2011 ?

Notre association a été agréée par le ministère de la santé et reconnue d’intérêt général. Elle fonctionne aujourd’hui avec six permanents. Nous avons obtenu la mise en place d’un fonds d’indemnisation spécifique Dépakine, ce qui très rare. Les décrets d’application de ce fonds doivent être publiés d’ici le 1er juillet 2017. On espère déposer les premiers dossiers à la fin du printemps 2017 et avoir les premières indemnisations d’ici à fin 2018.

Au-delà de l’indemnisation, je fais également de nombreuses démarches pour que les femmes enceintes épileptiques et bipolaires soient informées clairement des risques des médicaments pendant la grossesse, pas seulement celles qui sont sous Dépakine mais aussi celles qui prennent d’autres antiépileptiques, qui sont certainement aussi dangereux.

Vous avez porté ce dossier à bout de bras…

Pour obtenir que les décrets d’application ne soient pas en faveur des laboratoires, il faut se battre sans relâche et toujours maintenir la pression, comme le fait Irène Frachon pour les victimes du Mediator. Cela fait cinq ans que je me bats au quotidien. J’ai dû renoncer à ma profession de responsable logistique dans une entreprise de ferroviaire. J’ai parfois l’impression de devoir faire le travail de pharmacovigilance, ce qui est usant. Mais j’ai le sentiment que si j’arrête, les politiques relâcheront leurs efforts. Je suis étonnée de voir à quel point l’Etat protège Sanofi.

Depuis le début de l’année, la délivrance de la Dépakine est davantage encadrée…

C’est vrai. Désormais en France, une femme à qui est prescrit de la Dépakine doit signer un formulaire de consentement éclairé disant qu’elle est informée qu’elle a 40 % de risque d’avoir un enfant présentant des troubles autistiques. Nous sommes désormais le pays le plus avancé dans la mise en œuvre de la réglementation européenne, et notre action n’y est pas étrangère. En Espagne ou en Italie, où il n’y a pas d’association comme l’Apesac pour jouer le rôle de lanceur d’alerte, ce protocole n’a pas été mis en place. Dans ces pays, des femmes continuent de prendre de la Dépakine sans être informées.

Sur ce sujet, je suis très investie pour que toutes les boîtes de médicaments dangereux pour le fœtus comportent un logo spécifique et une alerte mentionnant qu’il est dangereux pendant la grossesse. Nous avons été entendus et ces informations figureront rapidement sur les boîtes de médicaments.