Thibaut Pinot à l’arrivée à l’Alpe-d’Huez, le 25 juillet 2015. | PETER DEJONG / AP

Zen, Thibaut Pinot. Sur le canapé de son hôtel de la Costa Blanca, en Espagne, il prend la position du lotus pour expliquer son choix de disputer prioritairement le Tour d’Italie, la saison prochaine, faisant passer le sacro-saint Tour de France au second plan. Sans triomphalisme. Sur cette question, son patron, Marc Madiot, a fini par céder à force de relances. Et il ne s’agit pas de transformer cette décision en victoire personnelle.

Lundi, l’équipe FDJ a confirmé ce qui se murmurait depuis plusieurs semaines et que Thibaut Pinot annonçait presque dès le mois de juin (lire son interview au Monde) : son grimpeur visera le classement général pour le Giro et aura donc mécaniquement, sauf malheur en Italie, des ambitions moins élevées sur le Tour de France.

Sur la 100corsa rosa, le Français, qui n’a pas pour habitude de parler haut, se contente d’envisager se « rapprocher du podium ». Lorsqu’on est déjà monté sur le podium du Tour de France (3e en 2014), n’a-t-on pas d’ambitions plus élevées ? « Je ne dirai jamais que j’y vais pour gagner. Je n’ai jamais eu l’opportunité de gagner un grand tour, donc je ne vois pas pourquoi je l’aurais sur ce Giro », tempère le Franc-Comtois.

Il anticipe les écueils. « C’est une course que je ne connais pas. Or, elle s’apprivoise. Mes adversaires, Fabio Aru, Vincenzo Nibali ou Esteban Chaves, connaissent ces routes par cœur. Ils sont là-bas depuis quinze ans. »

« On ne sait pas où on met les pieds »

Marc Madiot, assis à ses côtés, prévient lui aussi que rien n’est écrit à l’avance sur le Tour d’Italie, qu’il a couru dans les années 1980 en tant qu’équipier de Bernard Hinault : « On ne sait pas où on met les pieds. Sur le Giro, t’es pas chez toi, tu ne joues pas à domicile. Il ne faut pas perdre ça de vue. »

Si les tifosi ne le freinent pas, si les organisateurs ne favorisent pas un local contre le Français comme en 1984, lorsque Francesco Moser semblait un vainqueur plus digne que Laurent Fignon, Thibaut Pinot aura pourtant des raisons d’espérer succéder au champion à la queue-de-cheval, dernier vainqueur français du Giro, en 1989. Hors le Tour de France, achevé l’an dernier par une triste sortie de piste à mi-course, Pinot prouve depuis deux saisons qu’il est au niveau de ses adversaires annoncés en mai 2017.

Le parcours l’a définitivement conforté dans son choix : 67 kilomètres de contre-la-montre sont au programme et il en est désormais l’un des meilleurs spécialistes dans les courses par étapes. La météo généralement maussade (« Ça a joué aussi, je suis plus un mec du froid et de la pluie ») et l’atmosphère plus tranquille sur la course s’inscrivent aussi à son crédit, de même que la composition de son équipe, entièrement dédiée avec sa garde suisse composée de Sébastien Reichenbach et Steve Morabito.

Giro d'Italia 2017 - Il Percorso (The Route)
Durée : 10:12

Enfin, Pinot, que le maillot rose et le cyclisme italien ont toujours fait rêver (c’est dans la langue de Fausto Coppi qu’il a tatoué sur l’intérieur de son avant-bras droit « Solo la vittoria è bella »), avait besoin d’un peu de nouveauté. Lui qui craint plus que tout l’usure mentale qu’implique la vie de sportif de haut niveau la sentait arriver : « L’expérience du Tour de France 2016 m’a fait dire qu’il fallait changer quelque chose. J’avais envie de casser la routine, de voir autre chose. Physiquement et mentalement, j’étais un peu en bout de course, d’avoir toujours le même programme. »

« La bonne année pour le faire »

Pinot ne va pas en changer tant que ça (Grand Prix d’ouverture, Tour d’Algarve, Tour de Valence et Tirreno-Adriatico restent à son calendrier) mais découvrira, pour se familiariser au peloton italien, les chemins pierreux des Strade Bianche et le Tour du Trentin (devenu Tour des Alpes). Entre le Tour d’Italie et le Tour de France, il se consacrera à la récupération, avec une exception possible pour le championnat national, de façon à arriver au départ du Tour avec un nombre de jours de course similaire à l’an dernier.

Avec quelles ambitions ? Le double vainqueur d’étapes sur le Tour (2012 et 2015), comme son entraîneur de frère, a toujours considéré que viser le classement général du Tour après avoir couru le Giro était impossible. L’objectif d’un maillot à pois en juillet, avec une victoire d’étape à la clé, lui est toujours apparu comme un moyen de prendre du plaisir sur les routes françaises et de satisfaire le besoin de visibilité du sponsor. Désormais, il préfère éluder la question et renvoie le débat à plus tard.

Marc Madiot, lui, refuse de tirer déjà une croix sur le Tour, cite en exemple le cas, ces dernières années, de Pierre Rolland, Alberto Contador ou Rafal Majka, pourtant tous moins performants en juillet qu’ils ne l’étaient deux mois plus tôt. « Franchement, faire un grand Giro et un grand Tour, c’est réalisable. Sa fraîcheur mentale est revenue, il est dans la force de l’âge, on va alléger son programme… S’il y a une période où il faut le tenter, c’est plutôt maintenant. » Mais fallait-il le tenter dans l’absolu ? Là-dessus, le manageur ne le cache pas : il était lié par la promesse faite à son leader au moment de la reconduction de son contrat, cet été. « On s’était mis d’accord sur le fait que dans les deux ans, il irait au Giro. C’est le coureur qui pédale… Et tant mieux que le coureur ait envie de faire des courses mythiques. Pour la culture de ce sport, c’est important. »

Prié de dire si sa décision avait fait quelque vague au sein de la FDJ, Thibaut Pinot répond sans hésiter : « Non, je ne pense pas. Ou en tout cas je n’en ai pas eu d’écho. Tout le monde a compris que c’était la bonne année pour le faire et je pense que Marc ne va pas me contredire. »