L’avis du « Monde » - On peut éviter

La critique qui établira pour de bon la valeur de Rogue One, A Star Wars Story, paraîtra dans le rapport annuel du conglomérat Disney. On saura alors si la stratégie adoptée par la firme de Burbank pour rentabiliser les quelque 4 milliards de dollars (3,75 milliards d’euros) dépensés lors de l’achat de Lucasfilm a été payante. Puisque le seul déroulement de la saga dont George Lucas a conçu six épisodes ne suffit pas à amortir ce coût cosmique, il fallait trouver de nouvelles lignes de produit.

Voici donc Rogue One, présenté comme une standalone story, un récit qui tient debout tout seul, annoncé comme le premier d’une série infinie. A ceci près que cette très sombre histoire de sacrifice et de vengeance repose sur une phrase du texte qui s’est déroulé sur les écrans il y a bientôt quarante ans. Au début de la projection de La Guerre des étoiles (1977), on pouvait lire : « Des vaisseaux spatiaux rebelles, frappant depuis une base clandestine, ont remporté leur première victoire contre le maléfique empire galactique. Pendant la bataille, des espions rebelles ont réussi à s’emparer des plans secrets de l’arme ultime de l’empire, l’Etoile de la mort ».

Il n’est pas besoin d’être un exégète accompli des évangiles selon saints George et Lucas pour comprendre, après quelques minutes de la projection de Rogue One, que les 200 millions investis dans la production l’ont été pour donner une taille colossale à ces quelques lignes. C’est ce qu’on appelle un « programme », terme qui n’est guère compatible avec la tension dramatique, la surprise, l’imagination. Pour compenser cette carence, fatale aux passagers d’un saut dans l’hyperespace, les concepteurs du film ont forcé la dose d’ingrédients propres à induire la dépression chez le spectateur.

Se concilier tous les marchés

Si bien que les aventures de Jyn Erso (Felicity Jones), fille de Galen Erso (Mads Mikkelsen), chercheur en armements intergalactique pris en otage par l’empire, se déroulent dans une ambiance propre à faire pleurer le plus endurant des météorologues : sur quelque planète que l’on aille, le temps est horrible, sans parler des pics de pollution et des cataclysmes provoqués par les essais de l’Etoile de la mort. La dynamique mademoiselle Erso est assistée dans son effort pour retrouver les plans de l’« arme ultime » par un équipage qui exsude de très loin le souci de se concilier tous les marchés : Diego Luna (Mexique) en officier rebelle, Jiang Wen et Donnie Yen (République populaire de Chine, où Rogue One est d’ores et déjà assuré d’une date de sortie), Riz Ahmed (Royaume Uni, d’ascendance pakistanaise) se joignent à la jeune femme pour une mission découpée en paliers, comme n’importe quel jeu numérique.

Le bilan humain, extraterrestre et androïde est lourd, même si tous ces mondes meurent sans verser une goutte de sang, histoire de ne pas laisser filer la classification PG13, qui fait toute la différence entre 90 et 220 millions de dollars de recettes. Cette tonalité sombre ne suffit pas à donner à Rogue One la profondeur à laquelle aspiraient scénaristes (les vétérans Chris Weitz et Tony Gilroy) et réalisateur (le jeune Britannique Gareth Edwards). Mais qu’importe la profondeur, le but recherché est de faire glapir aux fans « c’est aussi dark que L’Empire contre-attaque », ce qui, à lire les Tweet qui ont suivi la première de Rogue One à Los Angeles, a parfaitement fonctionné.

Une ultime remarque, qu’on ne peut tout à fait développer sans dévoiler quelques rebondissements : deux personnages échappés de la trilogie des années 1970-1980, apparaissent sous la forme d’avatars numériques, puisque leurs interprètes sont respectivement mort et sexagénaire. Cette nécrophilie nourrie des développements technologiques les plus récents parfait le goût funèbre et mercantile de Rogue One.

Rogue One : A Star Wars Story - Bande-annonce officielle (VF)
Durée : 02:29

Film américain de Gareth Edwards. Avec Felicity Jones, Diego Luna, Forest Whitaker, Jiang Wen (2 h 13).