Documentaire sur Histoire à 20 h 40

Carlo Ginzburg, Italian essayist and philosopher in 2008. | ULF ANDERSEN / Aurimages

Il est des historiens qui n’ont de cesse d’explorer les frontières de leur discipline en dialoguant avec la littérature, le cinéma ou l’anthropologie. L’Italien Carlo Ginzburg, 77 ans, en fait partie. En 1976, dans Le Fromage et les Vers. L’univers d’un meunier frioulan du XVIe siècle (Aubier, 1980), il posait les jalons de la ­micro-histoire, en enquêtant sur Menocchio, meunier opiniâtre, friand de lectures, remonté contre l’Eglise, qui, au terme de deux procès, mourut brûlé sur l’ordre du Saint-Office. Carlo Ginzburg prônait alors une analyse à petite échelle de la société, en étudiant la vie d’un individu anodin.

Dans le film de Marianne ­Alphant et Pascale Bouhénic, on découvre un homme généreux, toujours capable d’émerveillement et s’exprimant dans un français parfait. Les deux réalisatrices lui ont demandé de commenter onze images de son choix, qu’il dispose sur sa table, au fur et à mesure du documentaire. Sans surprise, il a un goût prononcé pour la peinture de la Renaissance. Adolescent, il découvre Piero della Francesca. En se plongeant dans les fresques de La Légende de la Vraie Croix réalisées dans la chapelle Bacci de la basilique Saint-François d’Arezzo, il repère un détail : un fleuve avec des maisons, l’un des « plus beaux paysages » qu’il ait vus. En essayant de traduire cette expérience visuelle, il se rend compte de la résistance des images aux mots. Ainsi, le film glisse peu à peu sur le terrain de l’ego-histoire : à travers le décryptage du Miracle de la relique de la Croix au pont du Rialto de Vittore Carpaccio, Ginzburg raconte comment est née sa vocation.

Conscient de ses limites

Sa fascination pour les « tragédies silencieuses » serait liée à la distance qu’il entretient avec la seconde guerre mondiale. L’historien est né en 1939, cinq ans avant la mort de son père, professeur de littérature russe, journaliste et ­activiste socialiste, juif. Eclectique, Ginzburg n’est jamais meilleur que lorsqu’il opère des rapprochements : celui entre le portrait de Gérard de Lairesse par Rembrandt et Le Garçon au gilet rouge de Paul Cézanne est saisissant. L’historien n’en demeure pas moins conscient de ses limites. « Je suis aveugle face à l’art contemporain », avoue-t-il. Une preuve de plus de son honnêteté.

Un œil, une histoire, de Marianne Alphant et Pascale Bouhénic (Fr., 2015, 55 min).