C’est une lecture édifiante qu’offre mercredi 14 décembre le Journal officiel. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté fait usage de la procédure d’urgence pour alerter publiquement le gouvernement sur la situation de la maison d’arrêt des hommes de Fresnes.

Entre la surpopulation carcérale, la prolifération des punaises et des rats, le délabrement des locaux, le « climat de violence constant qui règne » et un « usage de la force [à l’égard des détenus] ni maîtrisé ni contrôlé », on pourrait penser qu’il s’agit d’un rapport sur les geôles d’un pays peu recommandable. Cela se passe dans le Val-de-Marne, à 7 km des portes de Paris, dans la seconde plus grande prison de France.

A l’issue d’une visite effectuée dans cet établissement par douze contrôleurs du 3 au 14 octobre, « un nombre important de dysfonctionnements graves » ont été constatés. Adeline Hazan, la Contrôleure générale, estime ainsi que « les conditions de vie des personnes détenues constituent un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ».

Un taux d’occupation de 202 %

Il n’y a guère de surprise sur le niveau de surpopulation et les conséquences néfastes que cela entraîne pour les conditions de vie des détenus et de travail pour le personnel pénitentiaire. Dans son courrier de réponse adressé le 13 décembre à Mme Hazan, Jean-Jacques Urvoas, le ministre de la justice, reconnaît lui-même que la maison d’arrêt des hommes affiche un taux d’occupation de 202 % avec 2 474 détenus pour 1 226 places.

C’est d’ailleurs dans cette même prison de Fresnes que le ministre avait convoqué une conférence de presse le 20 septembre pour dévoiler son plan baptisé « En finir avec la surpopulation carcérale ». Mais là où la Contrôleure générale demande des mesures urgentes comme « la suppression immédiate des encellulements à trois », le ministre répond que trois nouvelles maisons d’arrêt pourraient sortir de terre en Ile-de-France d’ici cinq ou dix ans.

La prison de Fresnes n’est dotée que de cellules individuelles d’environ 10 m2 dont l’espace vital est limité à 6 m2, « une fois déduit l’emprise des lits, des toilettes et de la table ». Or, 56 % des détenus vivent à trois dans de telles « cellules individuelles » et 31 % à deux dans le même espace. La surpopulation pénale n’est pas l’apanage de cet établissement, mais, écrit Mme Hazan, ici « son caractère massif et durable lui confère un caractère particulièrement indigne ».

« Brutalités et violences »

Autre point noir, l’état des parloirs, « constitués de boxes de 1,3 m2 ou 1,5 m2 dans lesquels deux personnes ne peuvent se tenir assises face-à-face qu’en croisant leurs jambes ». Pourtant s’y installent régulièrement un détenu et trois visiteurs. Autre lieu exigu, les salles d’attente des détenus, baptisées « placards ». Dans ces espaces pas plus grand qu’une cellule sans sanitaire et sans point d’eau, les détenus sont amenés en attendant un parloir ou un rendez-vous avec un avocat. Or, ils peuvent y rester debout « pendant de longues heures », parfois « jusqu’à trois par mètre carré ». « Des brutalités et des violences se déroulent dans les placards hors de tout contrôle », peut-on lire dans le Journal officiel.

C’est aussi que le personnel est en nombre insuffisant. « Les contrôleurs ont été en permanence témoins du travail effréné des surveillants soumis à une pression constante qui les empêche de faire face à leur programme ». En quatre ans, le nombre de surveillants est resté stable à Fresnes, mais 70 % seraient stagiaires sortis d’école. Dans le même temps le nombre de détenu augmentait de 20 % et l’effectif d’encadrement baissait. 30 % des postes d’officiers seraient aujourd’hui vacants. Résultats, certains détenus sont privés de soins, de visite ou de travail faute de personnel suffisant pour gérer les mouvements internes.

Autre conséquence du sous-encadrement et du manque d’expérience des surveillants, la « discipline rigide » de Fresnes, « autrefois objective et ferme est devenue illisible et brutale ». Les contrôleurs évoquent « un climat de tension et d’affolement », « incompatible avec un usage serein et proportionné de la force ». Quitte à tronquer les compte rendus d’incidents pour justifier a posteriori le recours à une intervention musclée contre un détenu. Le garde des sceaux se veut rassurant en objectant que la fréquence des violences entre détenus et de celles à l’égard du personnel a baissé en quatre ans.

Dératisation et désinsectisation

Dans cette triste litanie, Mme Hazan remarque que « l’anomalie la plus grave, tant pour les personnes détenues que pour le personnel », vient de l’état d’hygiène « déplorable » de la prison. Les rats prolifèrent, jusque dans le lit d’un surveillant de permanence… « L’odeur persistante de leur pelage, de leurs excréments et de leurs cadavres, s’ajoute à celle des amas d’ordures qui jonchent les pieds des bâtiments », relate-t-elle.

Le 6 octobre, l’Observatoire international des prisons obtenait du tribunal administratif de Melun une décision ordonnant à l’Etat d’intensifier la lutte contre les rats à Fresnes. La Contrôleure affirme que la situation est telle que la France risque une sanction de la Cour européenne des droits de l’homme.

Le garde des sceaux assure que les choses sont aujourd’hui prises en main. Pour la dératisation, « une prestation exceptionnelle » confiée à une entreprise extérieure a démarré le 2 novembre, écrit-il. Quant aux punaises et cafards, les opérations de « désinsectisation » menées par des détenus spécialement formés ont été jugées « très insuffisantes » souligne M. Urvoas qui précise qu’un marché pour tous les établissements d’Ile-de-France sera notifié en mars. Parmi les investissements prévus à Fresnes, le ministre affirme qu’un programme de rénovation des parloirs est inscrit sur trois ans, de 2017 à 2019 pour 400 000 euros.

A court terme, rien ne devrait changer à Fresnes.