Le président gambien Yahya Jammeh a reconnu sa défaite à l’élection présidentielle du 1er décembre. Puis il a changé d’avis. Une volte-face qui n’est guère surprenante, tant l’homme nous a habitués aux pires pitreries. Les Etats de la région, qui ont tenté de ramener le président sortant à la raison, semblent s’être heurtés à un mur, à en croire les déclarations mardi soir 13 décembre de la présidente libérienne Ellen Johnson Sirleaf. Elle dirigeait la mission à Banjul de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao).

Son organisation avait affirmé auparavant qu’une intervention militaire n’était pas exclue. Envoyer des troupes en Gambie : c’est bien le projet que certains caressent désormais à Dakar pour déloger l’extravagant Jammeh et installer le président élu, Adama Barrow. Faut-il passer par un engagement armé en dehors d’un mandat international ? J’en doute. Ce dont je suis convaincu, c’est de la nécessité pour la Gambie et le Sénégal, à travers une solution politique, de lier leurs destins. Après l’éclatement de la Fédération du Mali en 1960, Dakar pourrait se consoler avec la Sénégambie !

Les deux Etats, déjà imbriqués géographiquement, doivent être un seul et même pays, même si leur trajectoire historique et institutionnelle est différente. Si la Gambie est un pays fermé, en proie aux turpitudes de Yahya Jammeh, le Sénégal est un modèle démocratique, avec une compétition électorale ouverte et une presse indépendante.

Former un Etat unitaire

Unir Banjul et Dakar n’est pas une idée nouvelle. Elle a déjà expérimenté, sans grand succès. En 1982, la Confédération de la Sénégambie a vu le jour à la suite du coup d’Etat contre le président Daouda Diawara, écrasé par une intervention militaire sénégalaise, l’opération « Fodé Kaba 2 ». Sept ans plus tard, l’expérience a connu le même sort que la fédération sénégalo-malienne : un échec cuisant.

Aujourd’hui, avec cette énième manifestation de l’irrespect de Jammeh pour son peuple au risque de faire couler le sang, il faut relancer l’idée de lier les deux pays, non plus sur un modèle confédéré mais dans un Etat unitaire. La construction de l’unité africaine est en panne : la perspective d’un gouvernement fédéral à l’échelle du continent demeure une utopie ; l’Union africaine a du mal à trouver un consensus pour choisir la personnalité qui présidera sa Commission et le passeport africain reste une coquetterie d’hommes politiques, sans impact sur le quotidien d’Africains séparés par tant de frontières. S’y ajoute le décevant bilan des Communautés économiques régionales, qui devaient être de véritables rampes de lancement vers l’union politique du continent.

De plus en plus, dans la conscience collective africaine, on invoque l’idée d’une intégration par le bas. Les peuples sénégalais et gambien peuvent matérialiser ce vœu encore pieux en allant résolument vers un embryon d’unité qui générerait une émulation positive. La Gambie et le Sénégal ont différents atouts et raisons pour réussir leur union. Les deux pays utilisent les mêmes langues locales : le wolof, le joola ou le mandingue. En outre, l’anglais, langue officielle de la Gambie, est le vecteur privilégié des échanges internationaux. C’est la langue de ce nouveau monde, il faut le reconnaître, même au pays de Senghor. La Sénégambie pourrait ainsi disposer de deux langues officielles, l’anglais et le français.

« République islamique »

Au plan confessionnel, le Sénégal et la Gambie ont de fortes proportions de citoyens musulmans, même si l’un a une tradition laïque, au contraire de son voisin que Yahya Jammeh a transformé en « République islamique ». L’ancrage de l’Etat sénégalais dans la laïcité nourrirait ce nouveau pays uni et libérerait enfin les Gambiens des lubies autocratiques et islamisantes de Yahya Jammeh.

La Gambie, le plus petit pays d’Afrique continentale, n’a jamais réussi à exister diplomatiquement. Le Sénégal, quant à lui, fut une grande nation diplomatique, mais son influence baisse de jour en jour alors que, dans la région, émergent le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. Il suffit d’échanger avec des diplomates sénégalais pour se rendre compte de la faiblesse du pays face à ses grands défis, et notamment celui de mettre fin à l’imbroglio gambien.

L’érection de la Sénégambie, en plus de résoudre le conflit en Casamance, fera émerger un géant géopolitique qui pèserait sur les affaires de la Cédéao face à une Côte d’Ivoire boostée par son économie et un Nigeria, puissance traditionnelle. En outre, la Gambie et le Sénégal sont des nains économiques et militaires, notamment dans un contexte où la menace terroriste s’impose comme un ennemi pernicieux auquel il faut opposer une réponse vigoureuse et multiforme qui requiert des moyens financiers et humains colossaux.

Yahya Jammeh, côté gambien, n’est guère l’homme par qui cette idée sera mise en œuvre. Il n’en a ni l’envergure politique, ni l’épaisseur intellectuelle, ni la vision, encore moins la volonté. Pis, en vingt-deux ans de pouvoir autoritaire, ses provocations quotidiennes vis-à-vis de son voisin ont engendré une grande lassitude à Dakar. L’homme a constamment méprisé les règles juridiques et diplomatiques qui régissent les liens entre les deux pays par le soutien à la rébellion en Casamance et la hausse unilatérale et fréquente des taxes de transit par Banjul des transporteurs sénégalais.

Or l’enclavement de la Casamance n’est pas viable pour le Sénégal. Et le conflit ne trouvera pas d’issue tant que les autorités gambiennes l’utiliseront comme moyen de chantage vis-à-vis du Sénégal. Banjul devra, à terme, accepter un corridor routier, à moins que la solution de l’unité des deux pays ne s’impose naturellement. Yahya Jammeh doit partir, et son départ doit permettre l’avènement historique de l’union des deux pays.

Penser la Sénégambie est nécessaire. Les deux pays doivent garder à l’esprit que leurs destins sont inextricablement liés par l’Histoire et la géographie. Ils survivront ou disparaîtront ensemble, car c’est un même peuple qui vit dans deux Etats différents. De ce point de vue, la Sénégambie existe déjà. Il suffit de la construire.

Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.