Le président gambien Yahya Jammeh (au fond) reçoit dans son palais quatre chefs d’Etat africains venus lui demander de reconnaître sa défaite : John Mahama du Ghana (au fond à droite), Muhammadu Buhari du Nigeria (devant à gauche), Ellen Johnson Sirleaf, du Liberia et Ernest Bai Koroma, du Sierra-Leone. | REUTERS

« Un accord n’est pas quelque chose qui peut aboutir en un seul jour, il faut y travailler. » Comme un aveu d’échec, la présidente de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), Ellen Johnson Sirleaf, est venue parler à la presse dans la soirée de mardi. « Nous ne sommes pas venus pour un accord, nous venons aider les Gambiens à organiser la transition », a-t-elle ajouté, peu convaincue, affirmant que la mission allait rendre compte de ses discussions lors du sommet de la Cédéao samedi à Abuja.

Avec la présidente libérienne, ils étaient venus en nombre ce mardi à Banjul, dans l’espoir de sortir la Gambie de sa crise politique : Muhammadu Buhari, président du Nigeria, John Dramani Mahama, président du Ghana et défait il y a quelques jours aux élections présidentielles ghanéennes, et Ernest Bai Koroma, président du Sierra-Leone, tous avaient fait le déplacement.

La crise s’enlise

Mais après s’être entretenus une heure avec le président sortant Yahya Jammeh, puis avec son successeur élu Adama Barrow, force était de constater qu’aucun accord n’a été trouvé. Quand Buhari assurait avoir trouvé une « oreille attentive » en Yahya Jammeh, la coalition de l’opposition campait sur sa position. « Avec ces négociations, il est clair qu’on ne reviendra pas sur nos acquis : Jammeh doit immédiatement quitter le pouvoir et le pays », souligne ainsi un cadre de l’opposition.

Yahya Jammeh (à gauche) avec le président nigérian Muhammadu Buhari à Banjul le 13 décembre. | REUTERS

A Banjul, la crise s’enlise donc, après que « le roi qui défie les rivières », l’un des multiples titres officiels de l’autocrate qui dirige le pays depuis 22 ans, a rejeté dans leur totalité les résultats des élections, dénonçant des « erreurs inacceptables » de la part des autorités électorales. Il avait pourtant dans un premier temps accepté sa défaite, le lendemain du vote. Mais au-delà de la médiation, rien ne laissait présager ce mardi une transition apaisée, les signes négatifs se multipliant au contraire au cours de la journée, au point qu’un observateur se demande, dans une fausse naïveté, « si Jammeh ne l’a pas fait exprès, pour affirmer son autorité ».

D’abord, la Commission électorale indépendante (IEC) a été en début de matinée investie par les bérets rouges de l’armée gambienne. « Je me rendais à l’IEC à 7h45 ce matin, des militaires m’ont obligé à faire demi-tour, explique Alieu Momarr Ndjie, président de la Commission, joint par téléphone. C’est une démonstration de force, mais je n’y crois pas : il est impossible que les Gambiens acceptent que Jammeh reste au pouvoir. » Mardi dans la soirée, les bâtiments de la Commission étaient toujours occupés par l’armée.

Ensuite, le chef d’état-major de l’armée gambienne, Ousmane Badjie, a changé son fusil d’épaules en milieu de journée. Il est arrivé aux discussions avec la délégation en portant sur son uniforme un badge du chef de l’Etat sortant et affirmant qu’il soutenait Yayha Jammeh. Jeudi dernier, avant le revirement du président sortant, son successeur élu Adama Barrow avait pourtant affirmé que le général Badjie lui avait apporté son soutien.

Recours à la Cour suprême

Enfin, le parti au pouvoir, l’APRC, a déposé en fin de journée à la Cour suprême le recours officiel de contestation des élections, alors que Yahya Jammeh était en pleine discussion avec ses homologues d’Afrique de l’Ouest. « Le timing est un pied de nez à la délégation », estime un diplomate, alors que ce mardi était le dernier jour pour déposer un recours à la Cour, dans la limite légale des 10 jours suivant le scrutin.

Le chef d’Etat major gambien Ousman Badjie, qui affirme désormais soutenir le président sortant Yahya Jammeh et non le président élu Adama Barrow. Ici à Banjul le mardi 13 décembre. | SEYLLOU / AFP

Face à cette multiplication de signes que Yahya Jammeh refuse la transition, les réactions sont unanimes. « On a jamais cru à la promesse de Jammeh, estime par exemple un proche d’un chef d’Etat d’Afrique de l’Ouest. Avec les Sénégalais, on s’est dit tout de suite qu’il y avait neuf chances sur dix pour qu’il revienne dessus. » Ces doutes concernant une passation douce du pouvoir ont été d’autant plus renforcés quelques jours après l’élection quand Adama Barrow a laissé entendre qu’il avait l’intention de traduire Yahya Jammeh en justice.

C’est justement ce dernier point que la délégation a discuté avec le président-élu, dans une volonté d’apaiser les débats. « Les chefs d’Etat ont conseillé à Adama Barrow de ne pas verser dans la dérive verbale quant au sort qui sera réservé à Yahya Jammeh, explique un membre de l’IEC, présent lors de la rencontre de la délégation de chefs d’Etat avec le président élu. Et ils lui ont conseillé de poursuivre les préparatifs de prestation de serment. » Ce mardi pourtant, cette cérémonie d’investiture d’Adama Barrow, prévue fin janvier 2017, n’a jamais paru aussi lointaine.