L’ancien gendre du président kazakh, Rakhat Aliev (photo non datée). | DRAGAN TATIC / AFP

L’affaire fait de nouveau la « une » des journaux autrichiens, qui ne sont pas d’accord. Rakhat Aliev, l’ex-gendre encombrant du président kazakh, Noursoultan Nazarbaïev, s’est-il suicidé en prison le 24 février 2015 ? Ou a-t-il été assassiné ? Le très sérieux hebdomadaire viennois Falter pencherait plutôt pour la première hypothèse. Mardi 13 décembre, il a révélé l’existence de mots d’adieu consignés dans le carnet de notes de M. Aliev et adressés à sa femme. Ont également été publiés des extraits de son dossier médical, faisant état d’une grave dépression. Le journal émet également des doutes quant à la possibilité d’organiser un meurtre dans la plus grande prison d’Autriche, celle où était incarcéré l’homme d’affaires au cœur d’un vaste scandale politico-financier.

Pourtant, le reste de la presse a largement repris les conclusions d’un médecin légiste allemand, venu présenter à Vienne lundi sa contre-expertise spectaculaire. Le septuagénaire s’appelle Bernd Brinkmann. Très réputé, il affirme avoir été mandaté par la veuve du défunt. Selon lui, Rakhat Aliev a bel et bien été assassiné par des professionnels. « Même un aveugle », a-t-il expliqué, aurait dû constater que « des mains étrangères » avaient reproduit la technique des meurtres de Burke et Hare. Ces deux tueurs en série du XIXe siècles sont restés dans l’anthologie du crime en Grande-Bretagne : ils comprimaient le thorax de leurs victimes, tout en bouchant leurs voies respiratoires.

Cette technique provoquait l’étouffement, en laissant peu de traces sur des cadavres revendus ensuite à un professeur d’anatomie. Bernd Brinkmann a transmis ses travaux au parquet. Ce dernier promet de les étudier, mais rappelle que deux cabinets d’expertise médicale, l’un helvétique, l’autre autrichien, ont tous les deux conclu au suicide.

Tentatives d’enlèvement

L’Autriche se serait bien passée d’une telle bataille de spécialistes. Car, l’été dernier, la publication des courriers électroniques privés d’Hillary Clinton avait déjà révélé que, selon des diplomates américains, la police du pays jugeait « hautement suspect » le décès de l’ancien ministre libyen du pétrole Choukri Ghanem, retrouvé noyé dans le Danube en 2012. Or les enquêteurs avaient conclu à une noyade accidentelle, consécutive à une crise cardiaque. Choukri Ghanem, impliqué dans différentes affaires financières, avait côtoyé les sommets du pouvoir, tout comme Rakhat Aliev, passé par les redoutables services de renseignement de son pays, avant d’épouser Dariga, la fille aînée de l’autocrate kazakh Noursoultan Nazarbaïev.

A la suite des rumeurs de coups d’Etat, il avait quitté le Kazakhstan pour devenir ambassadeur en Autriche en 2002. Cinq ans plus tard, Astana réclamait son extradition et l’accusait d’avoir commandité un double meurtre. Mais Vienne refusait de l’expulser, arguant d’un manque de coopération des autorités dans la fourniture de garanties suffisantes concernant la tenue d’un procès équitable. L’année suivante, il était condamné par contumace à vingt ans de prison dans son pays.

Depuis, le contre-espionnage autrichien a enquêté sur trois tentatives d’enlèvement de ses proches, financées et commanditées par les services kazakhs de renseignement. Les espions venus des steppes ont aussi mené un travail intense de lobbying auprès de parlementaires autrichiens de tous bords.

Entre-temps, Rakhat Aliev aurait eu le temps de recycler par des investissements en Autriche des millions d’euros, grâce à des montages financiers complexes et révélés post-mortem, lors du grand déballage des « Panama papers », en avril. En juin 2014, la justice autrichienne avait décidé de l’incarcérer. Mais elle n’aura pas eu le temps de le juger.