« C’est une fouille en règle et bien minutieuse que mon djembé a subie. Le douanier m’a demandé courtoisement mais fermement d’ouvrir une à une toutes les poches du sac à djembé », a raconté un maître ouest-africain de l’instrument de passage à Paris. Percussion appréciée et répandue en Afrique de l’Ouest sahélienne (Burkina Faso, Guinée, Mali, Sénégal), le djembé suscite ces derniers temps la vigilance des douaniers français, particulièrement dans les aéroports d’Orly et de Roissy-Charles-de-Gaulle.

A la faveur des « confessions » de l’avocat Robert Bourgi en 2011, on a su que le djembé, en plus d’être un excellent instrument de musique, pouvait servir à transporter discrètement du cash d’Afrique vers la France, notamment durant les campagnes électorales.

« Donner sa contribution »

Or, dans le contexte préélectoral français, marqué par la perspective du double scrutin présidentiel et législatif, la tentation est grande de faire venir de l’argent liquide des pays africains. En tout cas, on assiste depuis peu à une valse de visites de personnalités françaises dans les capitales africaines : Abidjan, Dakar, NDjamena, Libreville, Douala. Toutes n’y vont certes pas chercher des djembés bourrés d’argent. Mais si, au sortir d’une entrevue dans un palais africain, le président hôte décidait de « donner sa contribution » à la bataille électorale, elle ne serait pas refusée. Les montants des dons peuvent être très importants. Toujours selon Robert Bourgi, en 2002, cinq chefs d’Etats africains (Abdoulaye Wade, Blaise Compaoré, Laurent Gbagbo, Denis Sassou-Nguesso et Omar Bongo) avaient versé près de 10 millions de dollars (9,5 millions d’euros) à la campagne présidentielle en France.

Une partie de ce magot a donc été transportée dans des djembés. Par exemple, la contribution de Blaise Compaoré d’un montant de 3 millions de dollars a été ramenée à Paris dans quatre de ces percussions, a révélé dans les colonnes du Journal du dimanche Robert Bourgi, héritier de Jacques Foccart, le Monsieur Afrique du général de Gaulle.

« Il existe des grands et des petits djembés. Le mien, par exemple, peut transporter au moins 3 à 4 millions d’euros en coupures de 500, 200 et 100 euros. Avec des sommes aussi importantes, on comprend d’autant mieux la vigilance des douaniers », plaisante le même maître du tambour ouest-africain.

Mallettes ou enveloppes de papier kraft

Les présidents congolais (Zaïre à l’époque) Mobutu, gabonais Omar Bongo, togolais Gnassingbé Eyadema et ivoirien Félix Houphouët-Boigny sont morts, emportant avec eux la tradition qui consiste à envoyer des mallettes à Paris ou à remettre des enveloppes en papier kraft pleines d’argent liquide pour financer des campagnes électorales françaises.

Pour autant, cette « tradition » n’a pas totalement disparu. C’est même spontanément que certains dirigeants du continent proposent encore leurs « modestes » contributions aux amis parisiens ou aux états-majors des partis politiques engagés dans la compétition électorale.

Toute la difficulté porte alors sur les moyens de transporter ce cash d’Afrique vers la France. Certains affrètent à cet effet des vols privés qui se posent au Bourget, tandis que d’autres convoient l’argent dans les poches des vestes et les chaussettes. D’autres encore recourent aux instruments de musique traditionnelle africaine censés passer inaperçus. Reste que, d’ici aux scrutins de 2017, les douaniers de Roissy et d’Orly sont vigilants et fouillent systématiquement les djembés.

Seidik Abba, journaliste et écrivain, auteur d’Entretiens avec Boubakar Ba. Un Nigérien au destin exceptionnel (éd. L’Harmattan, 2015).