Janet Yellen, la présidente de la Réserve fédérale américaine, mercredi 14 décembre. | SAUL LOEB / AFP

Editorial du « Monde ». Donald Trump n’entrera en fonctions que le 20 janvier 2017, les grands électeurs ne confirmeront son élection que le 19 décembre prochain, mais la première grande décision de son mandat est tombée : l’argent gratuit, c’est fini. La décision a été prise mercredi 14 décembre par la Réserve fédérale américaine. Moins de dix ans après la terrible crise de surendettement qui fit tomber l’économie occidentale, la banque centrale américaine a décidé de normaliser sa politique monétaire.

A l’unanimité, l’institution présidée par Janet Yellen augmente d’un quart de point le loyer de l’argent, avec un objectif de taux compris entre 0,5 % et 0,75 %. Trois autres hausses d’un quart de point sont annoncées pour 2017, soit un mouvement plus fort que deux hausses attendues par les marchés financiers. Inexorablement, l’Amérique s’éloigne de la politique de taux zéro qui prévalut pendant près d’une décennie.

Bienvenue dans le monde ancien

Cette décision s’explique par la robustesse de l’économie américaine, qui connaît le plein-emploi, héritage du double mandat de Barack Obama. Mais, même si la Fed, indépendante de l’exécutif, s’en défend, elle est aussi due au programme économique annoncé par Donald Trump. En proposant des baisses massives d’impôts pour les entreprises, un programme d’investissements dans les infrastructures de 1 000 milliards de dollars, le président élu se prépare à faire une relance budgétaire digne de celle de Ronald Reagan dans les années 1980 (par le biais des dépenses militaires).

Les profits des entreprises vont s’envoler, et c’est l’euphorie à Wall Street, avec un indice Dow Jones prêt à crever le plafond historique des 20 000 points. Le relâchement fiscal prévu comporte des risques inflationnistes, d’autant plus grands que l’économie américaine connaît le plein-emploi et des pressions à la hausse sur les salaires. Il est logique que les taux d’intérêt augmentent, ce qui va faire s’envoler le dollar face à toutes les devises mondiales.

Bienvenue dans le monde ancien ! Celui où les politiques budgétaires souples, voire laxistes, sont contrées ou rééquilibrées par des politiques monétaires plus strictes.

Affaire problématique pour la zone euro

Depuis 2014, les Etats-Unis tentent de sortir de la politique monétaire ultra-accommodante rendue nécessaire par la terrible crise financière de 2008. Ils ont longtemps reculé, de peur de casser la croissance ou de provoquer de nouvelles tempêtes financières. L’arrivée de Trump a fait tomber les derniers états d’âme.

L’affaire est à risques pour les pays émergents, qui vont subir baisse de leur devise, hausse des taux et reprise de l’inflation, alors qu’ils connaissent une stagnation dangereuse pour ces nations à population jeune. Elle est aussi problématique pour la zone euro, qui reste frappée par le chômage de masse et une activité anémique. Bien sûr, l’Europe a elle aussi besoin d’une normalisation : un retour de l’inflation à des niveaux proches de 2 % et une remontée des taux pour éviter la reconstitution de bulles financières et pour aider les banques à se requinquer. Mais l’Europe est fragile, très fragile, en particulier les économies surendettées de l’Europe du Sud, France comprise.

Au fond, l’arrivée de Trump et la décision de la Fed actent la déconnexion des deux continents, dont l’un est en plein boom, l’autre gravement affaibli. Les Etats-Unis ont choisi relance budgétaire et rigueur monétaire. L’Europe a besoin de la politique opposée : souplesse monétaire en Europe et maintien d’un minimum d’effort budgétaire.