Le graphique a fait le tour des réseaux sociaux. Issu de Google Trends, l’outil du moteur de recherche qui permet de comparer l’évolution du nombre de demandes d’internautes sur différents sujets, il affiche deux courbes. En rouge, la recherche pour ­ « Jésus » : globalement stable ces cinq dernières années, elle connaît des pics à Pâques et à Noël. En bleu, la recherche « mèmes » – ces photos ou vidéos, le plus souvent amusantes, qui font l’objet de détournements infinis et se diffusent sur Facebook, Twitter ou Reddit. ­Sacrilège ? En septembre, la courbe bleue a dépassé la rouge. Les mèmes seraient donc devenus « plus forts que jésus », se félicitent, au premier ou au second degré, les amateurs de culture populaire en ligne.

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Bien sûr, tout n’est pas si simple. Certes, la croissance des recherches effectuées par les internautes sur les mèmes est impressionnante : quasi inexistant dans le langage courant en 2011, le mot a connu un succès fulgurant. Mais, comme souvent, les courbes de Google Trends masquent une situation plus complexe. Notamment parce que les mèmes intéressent le monde entier – Jésus étant, sans surprise, surtout populaire dans les pays de tradition chrétienne.

S’il ne reflète qu’une partie de la réalité, ­Google Trends n’en a pas moins acquis, en 2016, un statut de quasi-oracle. Dans une année marquée par les errements des sondages électoraux, plusieurs commentateurs ont noté ce précieux détail : l’outil de Google permet de mieux estimer l’intérêt de la population pour un candidat, un parti, ou une politique. François Fillon, élu candidat du parti Les ­Républicains devant le favori Alain Juppé ? Google Trends l’avait vu, notamment lors des débats télévisés, où le nombre de recherches sur le candidat surpassait toutes les autres. La victoire de Donald Trump ? logique, les demandes concernant le candidat républicain surclassaient de loin celles se rapportant à sa rivale Hillary Clinton. Le Brexit ? Certains tabloïds anglais voyaient dans la géolocalisation des recherches pour le « Leave » le signe de la défaite du « Remain ».

L’oracle a ses limites

Mais ces analyses des données de Google omettent le fait que l’outil a ses limites. D’abord parce que Google Trends ne fait que comparer des volumes, sans donner de valeurs absolues – impossible de savoir combien de fois, exactement, un terme a été recherché. Ensuite, parce que l’interprétation des recherches est un art subtil et complexe. Lors des débats télévisés de la primaire de la droite et du centre, Nathalie Kosciusko-Morizet était ainsi la deuxième candidate la plus recherchée derrière François Fillon. Or, si la maire de Longjumeau a obtenu un résultat légèrement meilleur (2,6 % des voix) que celui que lui donnaient les sondeurs, elle a terminé la course en quatrième position – très loin derrière Alain Juppé et Nicolas Sarkozy.

Enfin, cet oracle moderne ne montre pas nécessairement un intérêt « positif » pour un sujet. Il est simplement le reflet de ce à quoi s’intéressent les internautes, et personne ne sait précisément qui sont ces derniers. Rien n’indique par exemple si le pic de recherches posant la question « qu’est-ce que l’Union européenne ? » au lendemain du Brexit était surtout le fait d’électeurs du « Leave » ou de ceux du « Remain »… « Google Trends est une boîte noire, résume le chercheur en marketing Pete Meyers, cité par le site Politifact. Il y a beaucoup de choses que nous ignorons sur la manière dont les chiffres sont compilés, et ils sont tous relatifs. » De quoi rassurer les fidèles : le remplacement de Noël par une fête du mème n’est pas encore pour demain.