Samir Baaloudj lors du meeting de soutien à Youssouf et Bagui Traoré, à Paris, le 14 décembre 2016. | Degeorges/Le Monde

« Je ressens un grand malaise, c’est dur émotionnellement d’assister à cette réunion », lâche Cécile, une étudiante de 22 ans, en quittant le meeting de soutien à Youssouf et Bagui Traoré mercredi 14 décembre à Paris. Pendant ce temps au tribunal correctionnel de Pontoise, les deux frères d’Adama Traoré, mort le 19 juillet lors d’une interpellation, étaient jugés pour violences, menaces de mort et outrages contre des forces de l’ordre.

Bagui Traoré, 25 ans, et Youssouf Traoré, 22 ans, avaient été interpellés puis placés en détention provisoire quelques jours après le conseil municipal du 17 novembre à Beaumont-sur-Oise auquel des membres de la famille Traoré et de son comité de soutien avaient tenté d’assister.

Au Centre international de culture populaire ce mercredi soir dans le 11e arrondissement de Paris, environ 200 personnes avaient répondu présentes à l’appel du collectif La vérité pour Adama afin de demander la libération des deux frères Traoré. La salle était pleine à craquer quand Samir Baaloudj, ancien militant du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) a pris le micro. « Youssouf et Bagui ne sont pas en prison pour outrage et rébellion, mais parce qu’ils ont organisé un rapport de force local, qu’ils se sont mobilisés » pour faire la lumière sur les causes de la mort de leur frère.

Pour lui, « ce sont des prisonniers politiques ». M. Baaloudj dont l’engagement militant remonte à une vingtaine d’années, insiste sur un point :

« Nous sommes un soutien extérieur, nous ne sommes pas des militants paternalistes et nous ne prendrons jamais la parole à la place des Beaumontois. Beaumont-sur-Oise a construit sa lutte et Assa Traoré [la sœur d’Adama] en est la porte-parole. »

Le travail d’Assa Traoré et de sa famille pour « démonter les mensonges en seulement quelques semaines » a été salué à plusieurs reprises pendant cette soirée où la parole était libre et le micro partagé. C’est la preuve, selon Samir Baaloudj, que « les quartiers sont capables de s’organiser tous seuls pour construire un discours politique ».

Après des remerciements adressés au nom de la famille Traoré pour cette mobilisation parisienne, un film de treize minutes est projeté. On y voit les frères Yacouba et Youssouf Traoré, entourés d’amis, retracer l’interpellation qui a conduit à la mort d’Adama le 19 juillet dernier, le jour de ses 24 ans. « Nous, on n’est qu’une ville, mais avec une ville, [plus] une ville, [plus] une ville, ensemble, on est plus forts », s’achève la projection.

Citoyens acteurs

Le débat lors du meeting de soutien à Youssouf et Bagui Traoré, à Paris, le 14 décembre 2016. | Degeorges/Le Monde

La lumière se rallume, et les personnes serrées au fond de la salle sont invitées à s’avancer. Sur fond de grincement de chaises que l’on tire sur le carrelage, quelqu’un lance : « Vous pouvez mettre des chaises sur la scène et vous installer. » C’est en somme ce qui se passe ce soir-là, où de simples citoyens, spectateurs, vont devenir acteurs de cette lutte. A l’image de Cécile, l’étudiante de 22 ans « bouleversée » par cette réunion, la première à laquelle elle assistait :

« Maintenant que j’entraperçois la longueur des racines du problème, je me vois mal rentrer me coucher et ne plus rien faire. »

Après une brève chronologie des faits depuis la mort d’Adama Traoré jusqu’au procès de ses frères Bagui et Youssouf ce 14 décembre, Samir Baaloudj passe le témoin à l’audience : « Comment fait-on pour qu’ils ne restent pas en prison ? A vous la parole ». Cette parole s’ouvre notamment par la voix d’un homme d’une cinquantaine d’années qui explique avoir déjà fait de la garde à vue pour outrage à agent.

« Mais juste six heures ! Je ne comprends pas que Youssouf et Bangui soient encore en prison. Ce n’est pas normal qu’on les garde des jours et des jours pour outrage. Ça ne peut pas être le bon motif. Elle est là l’injustice. »

« Parce que ce sont des meneurs », lui répond Samir Baaloudj. Le micro tourne, et au-delà de la critique des forces de l’ordre, de la justice, de l’Etat et des médias « qui déraillent », plusieurs idées émergent. « Il nous faut une vraie manifestation, quelque chose qui ait de la gueule. C’est ça qu’il faut décider ce soir », propose un homme. La conseillère régionale Europe écologie-Les Verts (EELV) d’Ile-de-France, Bénédicte Monville-De Cecco, abonde, estimant que « ce qui se passe aujourd’hui est le début d’une prise de conscience en France ». Plus pragmatique, Seydi Ba, étudiant en droit de 21 ans, est venu car il souhaite informer les gens sur leurs droits avant qu’ils ne soient interpellés ou placés en garde à vue. « Il faut que nous connaissions mieux la loi que les policiers eux-mêmes », fait-il valoir.

Victoire locale

Une femme venue de Tremblay-en-France suggère que les municipalités mettent à disposition des salles pour organiser la lutte. Une autre propose plutôt « d’utiliser la parole pour faire le lien entre les différentes associations » et peser davantage dans le débat. Guillaume Loïc, du site Révolution Permanente – une initiative du Courant communiste révolutionnaire du Nouveau Parti anticapitaliste –, rappelle que d’autres rassemblements ont déjà eu lieu ailleurs en France (Lille, Rouen, Montpellier, Lyon, Marseille, etc.) et souligne qu’il y a « une opportunité à saisir ». Selon lui, aujourd’hui, « la récupération politique des événements s’effondre » et « il faut en profiter ».

Samir Baaloudj reprend justement la parole pour recentrer le débat sur le mouvement parti du quartier de Boyenval où habitait Adama Traoré. Selon lui, si Youssouf et Bagui Traoré sont en prison, c’est parce qu’ils ont « réussi à faire que le quartier se prenne en main dans cette lutte. Parce que la solution, elle est là où tu habites », juge-t-il. Les deux frères s’étaient par exemple investis d’un rôle de médiateur qu’ils jouaient chaque soir dans le quartier.

Aujourd’hui, ce « soutien extérieur » à la famille Traoré, Samir Baaloudj, indique vouloir simplement « que les gens relaient le travail fait par ceux qui militent à Beaumont-sur-Oise, parce qu’ils ont fait éclater la vérité en seulement quelques semaines, c’est une victoire politique ».

Peu après minuit, le jugement est tombé, conforme à ce que M. Baaloudj redoutait. Trois mois aménageables pour Youssouf Traoré qui doit être libéré. Huit mois ferme pour Bagui Traoré qui doit être maintenu en détention. Avant que le couperet tombe mercredi soir, Samir Baaloudj assurait que d’autres actions étaient déjà prévues. « Ils ont pris Youssouf et Bagui, mais la lutte ne s’arrête pas là. »