Heureusement qu’il y a la Chine ! Et pourtant, même dopée par les chiffres du géant asiatique, la progression des rémunérations dans le monde reste singulièrement poussive, selon le rapport mondial sur les salaires publié jeudi 15 décembre par l’Organisation internationale du travail (OIT). Reflet d’une économie planétaire privée de tonus, la progression salariale n’a été que de 1,7 % en 2015, son plus bas niveau depuis quatre ans. En occultant les statistiques chinoises, elle ne parvient pas à dépasser la barre des 1 % (+ 0,9 %).

L’année dernière à nouveau, les pays émergents et en développement ont connu des augmentations plus fortes que les économies développées. Au cours de la dernière décennie, les salaires réels ont plus que doublé en Chine et enregistré des progressions de 20 à 40 % dans la plupart de ces pays. Pourtant, note l’OIT, cette tendance a fortement ralenti. Voire tend à s’inverser.

« Un vrai problème »

En 2015, la croissance salariale au sein des économies émergentes membres du G20 a été de seulement 2,5 %, contre 6,6 % en 2012. A l’intérieur même de ce groupe, le tableau est contrasté. En Asie (+ 4 %), la progression reste solide. Mais certains pays durement frappés par la crise des matières premières ont enregistré de forts reculs, comme la Russie (– 9,5 %) et le Brésil (– 3,7 %).

Cette décélération compromet le mouvement de rattrapage alors que dans ces régions, « les salaires sont encore souvent loin d’être décents », souligne Patrick Belser, auteur principal du rapport. L’OIT a calculé qu’en parité de pouvoir d’achat, le salaire mensuel moyen dans les pays riches s’élève à 3 100 dollars (2 968 euros) contre 1 300 dollars (1 247 euros) chez les émergents.

« Cela fait quatre ans qu’on observe un ralentissement et c’est un vrai problème pour la croissance mondiale, poursuit M. Belser. Le développement des émergents a tiré la demande mondiale et si leur pouvoir d’achat progresse moins, on peut se faire du souci. »

A contrario, la dynamique a regagné en vigueur dans les pays riches, après des années de stagnation salariale : parmi les membres du G20, la hausse des salaires réels a été de 1,7 % en 2016, du jamais-vu depuis dix ans. En 2010, juste après la crise financière, elle n’était que de 0,2 %.

Fait notable, l’Allemagne semble avoir bel et bien tourné la page de la modération salariale, l’un des ressorts de sa compétitivité, régulièrement décrié par ses partenaires commerciaux. Au sein de la première économie européenne, en effet, les salaires réels ont suivi une courbe ascendante depuis 2009 et grimpé de 2,8 % en 2015, écrit l’OIT. Les Etats-Unis sont l’autre moteur de la progression des salaires affichée par les pays occidentaux, avec une hausse de 2,2 % l’an dernier, la plus forte depuis 1998.

Pour l’avenir, toutefois, l’OIT reste prudente. « Il n’est pas sûr que cette évolution encourageante se poursuive durablement car les pays développés sont confrontés à des incertitudes économiques, sociales et politiques grandissantes », alerte Deborah Greenfield, directrice générale adjointe de l’organisation.