Au fil du temps, la peinture de Desgrandchamps devient de plus en plus déconcertante. Elle est figurative puisqu’on y reconnaît des corps et des paysages. Mais rien n’y est conforme à la nature et il suffit d’un instant pour que surgissent des anomalies de toutes sortes. Elles affectent l’espace, car la perspective est tordue ou interrompue. Corps, arbres et murs sont ébréchés, brisés, privés d’épaisseur et de substance. Des triangles et des auréoles de couleurs vives, aussi peu explicables, environnent ou recouvrent les figures. Des ombres et des taches noires montent où il ne devrait pas y en avoir. De fines lignes blanches traversent la surface, comme si on regardait, non une toile, mais un grand verre en train de se fendre. Quant à un récit ou un symbole, il serait vain d’en espérer un : l’archère tire dans le vide et les passantes s’évaporent, passant de l’état charnel à l’état de nuées. Les harmonies chromatiques sont puissantes et séductrices, mais on dirait que, comme les sirènes de l’Odyssée, elles n’attirent le regardeur que pour le prendre dans le filet de leurs énigmes. Si différentes soient leurs œuvres, l’un dans la pénombre et l’autre dans une clarté intense et glacée, la définition de la peinture de Rembrandt par Claudel s’applique étonnamment bien à ces œuvres insaisissables : « Un arrangement en train de se désagréger ».

Soudain hier, Marcel Desgrandchamps. Galerie Lelong, 13, rue de Téhéran, Paris 8e. Tél. : 01-45-63-13-19. Du mardi au vendredi de 10 h 30 à 18 heures, le samedi de 14 heures à 18 h 30. Jusqu’au 21 janvier 2017.