Je ne serais pas arrivé là si…

… si je n’avais pas déménagé à 9 ans de Vincennes à Puteaux. C’est ce déménagement qui m’a permis d’entrer en sixième au lycée Pasteur de Neuilly et d’y rencontrer mes potes, cela a été fondateur. Comme le niveau scolaire de Vincennes était supérieur à celui de Puteaux, j’ai eu un prix d’honneur, pour la première fois de ma vie d’écolier. Grâce à ce prix, j’ai été admis au lycée Pasteur. L’année suivante, Neuilly n’acceptait plus les enfants de Puteaux. Si j’avais déménagé un an plus tard, mon destin aurait été différent.

J’ai rencontré Christian Clavier en cinquième, dans une fête de classe. Je projetais mon premier film, Plombfinger, une parodie de Goldfinger dans laquelle j’interprétais Jean Bon 007. Christian qui, à l’époque, imitait à la perfection notre prof d’allemand, façon Louis de Funès, m’a présenté Thierry Lhermitte, un fils de grand bourgeois en révolte contre son milieu. L’année d’après, je me suis retrouvé à côté de Michel Blanc en cours d’allemand. On nous a vite demandé de changer de place. Marie-Anne Chazel était juste en face du lycée, au cours secondaire. Clavier l’avait repérée…

En entrant au lycée Pasteur, au début des années 1960, vous vous retrouvez dans un établissement huppé alors que votre famille est plutôt modeste…

C’était le lycée des fils de la bourgeoisie neuilléenne, et moi, bourgeois, je ne l’étais pas du tout. Michel Blanc non plus d’ailleurs, il habitait La Garenne-Colombes. Nous étions les deux parias qui traversaient la Seine pour aller chez les riches.

Papa, qui n’avait pas dépassé le certif, dirigeait une petite entreprise de couverture-plomberie, il travaillait tous les jours, même le samedi, rentrait tard. J’ai eu une enfance tristounette. Je m’ennuyais profondément. Mon père avait sept ou huit blagues. Ma mère était un peu plus fantaisiste. Ils sortaient une fois par an, au banquet des métiers du bâtiment. Ils m’ont apporté le cholestérol, un pessimisme de protection et le sens des réalités. Ils avaient les pieds sur terre, j’ai essayé d’avoir la tête dans le ciel.

Qu’est-ce qui a égayé ce quotidien monotone ?

Les farces et attrapes, vers 8 ans. A un repas de mariage, un cousin un peu plus âgé que moi avait placé une fausse crotte de chien sur la table. L’idée que des adultes puissent fabriquer cet objet dans une usine, et le vendre, m’enchantait ! On pouvait donc être adulte sans être sérieux ! Il y avait aussi les films du dimanche soir avec Louis de Funès, le cinéma du mercredi soir à Neuilly. Et les spectacles, à l’école primaire. Vers 10 ans, pour ma première prestation théâtrale, j’ai joué un vieillard sur lequel on tirait, et qui s’effondrait. Mais après, j’ai refusé de me relever et de sortir de scène. J’étais mort ! Les petites rats en tutu ont dû m’enjamber pour le numéro suivant. Je ne sais pas si c’était du cabotinage ou de la conscience professionnelle. Sans doute le besoin de rester un peu dans la lumière.

Il faut que ça brille. J’ai un tempérament un peu neurasthénique, qui m’a toujours poussé à m’entourer de gens drôles. Je vois la bouteille à moitié vide, et en plus, le vin est bouchonné. Tout mon travail sur moi, ça a été de faire en sorte de ne pas me coucher trop tôt, de ne pas avoir d’horaires ou de routine. De faire de l’exceptionnel mon quotidien.

Les scouts de France vous fournissaient aussi une échappée belle ?

Chez les scouts, il y avait les veillées. Je racontais des histoires, je jouais des petits sketchs. Mon chef de troupe, Jean-François Renac, a été une autre personne décisive. Ce cinéphile absolu m’a fait découvrir la cinémathèque, Buster Keaton, Rome ville ouverte, Le cuirassé Potemkine… C’est chez les scouts que j’ai tourné mon premier film, en 8 mm, avec la caméra de mon père. On faisait des travellings avec un fauteuil roulant. On avait construit un projecteur avec des boîtes de conserves. Tout le monde a pris du jus. On a failli mourir.

Quel genre d’élève étiez-vous ?

Un élève « Peut mieux faire ». Mes parents étaient catastrophés par mes carnets remplis de « S’il ne distrayait pas les copains, il pourrait travailler ». Au lycée Pasteur, c’était le chahut, l’école du rire. On en a balancé, des bombes à eau par les fenêtres ! En cours de gym, j’ai même fait semblant de m’être crevé l’œil avec une potence qui se terminait en pointe, la prof a failli s’évanouir. Il n’y a qu’en première et en terminale littéraire que les choses ont commencé à m’intéresser.

Avec Christian Clavier, Thierry Lhermitte, Michel Blanc, vous vous êtes découvert le même goût pour le spectacle ?

Nous avions une amitié, une complémentarité, une envie commune. Enfin, c’est pas mal moi qui la portais, eux auraient pu faire plein d’autres choses, ils étaient doués pour les études. Thierry Lhermitte aurait pu être professeur de médecine. Clavier avait entamé Sciences-Po. Blanc faisait littérature et piano. Moi, je me suis peu à peu fermé toutes les autres portes pour pouvoir faire ce métier.

Comment ont réagi vos parents ?

Ma mère m’a toujours poussé mais avec mon père, j’ai souvent entendu « Tu finiras clochard », ou « Acteur, ce n’est pas un métier ». On s’est engueulés, il voulait que je fasse ingénieur, ça au moins ce n’était pas un métier bouché. On en est même venus aux mains. Mais il ne m’a pas fichu dehors. Finalement, leurs doutes m’ont aidé. J’avais envie de réussite sociale pour les rassurer, et me rassurer. Il fallait que je leur prouve qu’une carrière artistique, ça ne voulait pas forcément dire misère et drogue.

Dans mes films, ensuite, je leur ai fait passer des messages. « Une époque formidable », c’était pour celui qui avait dit que je finirais clochard. « Monsieur Batignole », c’était un peu de ce qu’il était, des phrases qu’il disait et qui me gênaient. Quand mon père est décédé, je me suis même demandé pour qui je ferais des films. Saltimbanque, ce n’est pas vraiment aussi utile que chirurgien cardiaque. Mais au fil du temps, des gens me remerciaient, j’ai compris la petite utilité de ce métier.

Pourquoi avoir commencé dans la carrière en achetant, en bande, un café-théâtre ?

On était fascinés par le Café de la Gare de Romain Bouteille. On sortait du cours d’art dramatique de Tsilla Chelton, où personne ne nous avait vus. Il n’y avait aucune raison pour qu’un théâtre vienne nous chercher, qu’on nous propose des auditions. On a décidé de prendre en main notre outil de production. D’écrire et de construire un théâtre où l’on aurait une parfaite liberté. On a acheté un local rue des Lombards.

On a travaillé comme des brutes ! Ça a été l’enfer ! Je n’en garde aucune nostalgie. Neuf mois de travaux et le soir, on écrivait et on jouait dans d’autres cafés-théâtres. La seule façon d’échapper à la truelle, c’était d’avoir un petit rôle au cinéma, et de verser cent balles. On faisait beaucoup de choses nous-mêmes, pas très bien… Heureusement, mon père nous a envoyé des ouvriers pour la plomberie. Il a commencé à y croire quand il a vu les filles en salopette, notre courage, notre inconscience.

On rigolait, c’était formidable, mais on avait aussi des doutes. On avait emprunté beaucoup d’argent, peut être l’équivalent d’un million et demi d’euros d’aujourd’hui. Miou-Miou, Coluche, Patrick Dewaere, Julien Clerc, Jean Rochefort nous ont prêté de l’argent.

Vous ne faites pas salle comble, au début. Le succès n’arrive qu’en 1976, avec la pièce « Amours, coquillages et crustacés »…

Oui, c’est vrai que j’aurais pu dire « Je ne serais pas arrivé là sans le Club Med ». Comme on n’avait pas de sous pour les vacances, on avait un plan : on négociait une semaine dans un village pas trop luxueux contre deux représentations. C’est là qu’on a glané toutes les folies pour écrire « Amours, coquillages et crustacés », notamment à Djerba, dans un village de cases dirigé par un chef déjanté qui régnait sur ses ouailles.

Christian avait un oncle producteur de cinéma, Yves Rousset-Rouard, qui s’était dit qu’il y avait un coup à faire avec notre spectacle. Mais il voulait des « professionnels », des Poiret, Serault, De Funès ou Blier. Nous, on lui a dit : « On l’a écrit, c’est à nous ». Et le film a eu du succès. Grâce à lui, on est passé du café-théâtre à la reconnaissance publique. Ceci dit, nos films ont marché mais ils n’ont pas été des triomphes absolus - sauf « Papy fait de la résistance ». « Les bronzés » ont fait 2,5 millions de spectateurs à une époque où Les charlots en faisaient 8 millions. Mais ils ont perduré, peut-être parce qu’ils étaient intemporels.

Vous êtes apparu dans 110 films, dont une soixantaine de rôles importants. Pas une semaine ne passe sans que l’on en revoie un à la télé. Comment gérez-vous votre notoriété ?

Je suis comme le président, un homme normal se trouvant dans une position exceptionnelle. Je n’en reviens toujours pas de voir ma tronche sur une affiche, à la télé, c’est un truc de fou, faire payer les gens pour ça ! Il faut savoir être lucide sur la vanité des choses… et en profiter ! Mon fils dit qu’avec moi, il a toujours cru que le monde était gentil. C’est ignoble, mais je sais que si je vais rendre visite à un malade, il sera bichonné par l’infirmière. Tous les Français non-aveugles connaissent mon visage. Je fais partie de leur famille. A tel point que ça me trouble quand quelqu’un ne me reconnaît pas. Évidemment, c’est lourd. Je me gratte le nez dans la voiture, on me prend en photo. J’enterre quelqu’un de cher, on me demande de sourire pour une photo.

En avril sortira votre 11e film en tant que réalisateur, « C’est beau la vie quand on y pense ». Pourquoi êtes-vous passé de l’autre côté de la caméra ?

En fait, c’est parce que je ne pouvais pas être metteur en scène que j’ai fait l’acteur. J’ai plaisir à ne pas être un instrument, mais le chef d’orchestre. J’essaie de faire des films d’auteur grand public, un cinéma que mes parents auraient pu voir et comprendre. Les comédies demandent plus de travail que le drame. Il faut être capable de se saisir de la noirceur, de la douleur, de la merde, pour en faire un plaisir. C’est un travail d’alchimiste.

Vous avez eu l’occasion de rencontrer l’autre « homme normal », le président Hollande…

Oui, et je l’ai trouvé humain, intéressant, drôle. Il a aussi fréquenté le lycée Pasteur. S’il avait été un peu plus âgé, il aurait pu faire partie du Splendid. Il aurait peut-être été plus heureux ? Moi je suis d’extrême centre, profondément européen, les extrêmes me révulsent. Je ne suis pas d’accord sur plein de trucs avec la politique de Hollande, mais il n’a pas eu une minute d’état de grâce, pas une semaine sans qu’on lui ait fait endosser la responsabilité de quelque chose. On s’apercevra plus tard que son bilan n’était pas si catastrophique, qu’il a géré de manière admirable les attentats, la COP21… Bon, mais ne titrez surtout pas que je fais partie des 4 % qui le soutiennent encore, sinon je perds tout mon public !

Propos recueillis par Pascale Krémer

Une époque formidable. Mes années Splendid (Grasset, 239 pages, 18 euros)

Le onzième film de Gérard Jugnot en tant que réalisateur, « C’est beau la vie quand on y pense », sortira en avril

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