Des combattants islamistes à Idleb, en Syrie, le 28 mars. | REUTERS/KHALIL ASHAWI

Hossam Ayash s’apprête à sortir de la clandestinité dans laquelle il a vécu pendant plus de cinq ans. Dans quelques jours, l’ancien militant de Daraya traversera la frontière turque. Il abandonnera son pseudonyme et laissera derrière lui la province d’Idlib, durement bombardée par les forces russes et syriennes, et contrôlée par des groupes radicaux. C’est vers cette région du nord-ouest de la Syrie que des centaines d’évacués d’Alep sont déjà partis. Des milliers d’autres, combattants et civils encore bloqués dans les quartiers rebelles, devraient également s’y rendre. Proche d’Alep, la zone d’Idlib est presque entièrement tenue par les forces anti-Assad. Mais elle est loin d’être un refuge. Les rêves d’Hossam Ayash s’y sont brisés.

« Il n’y a plus de révolution ici ou, du moins, plus celle qu’on voulait mener. Il y a la guerre, juge amèrement le jeune homme. Il n’y a pas de règles claires. Il n’y a que la loi du plus fort. » Hossam a échoué dans la région d’Idlib à la fin du mois d’août, avec des centaines de civils, de militants et de combattants contraints de quitter Daraya, au terme d’un « accord » avec le régime : « C’était soit partir, soit subir des bombardements redoublés. » Le petit bastion de l’insurrection aux portes de Damas venait de se rendre. A Idlib, les gens de Daraya sont accueillis « en héros par les habitants et les groupes militaires [de l’opposition], se souvient Hossam, qui vit à Atmé, en lisière de la frontière turque. « Nous étions ceux qui avaient résisté pendant des années à un siège », raconte-t-il. Mais, très vite, c’est le désenchantement.

A Idlib, Hossam et ses amis veulent poursuivre leur engagement. Ils organisaient la vie courante à Daraya, restée célèbre dans les milieux de l’opposition comme un « laboratoire » de la révolte. « On voulait incarner une troisième voie, montrer qu’une alternative au régime et à Daech était possible. » Mais, dans le nord-ouest de la Syrie, le cadre a changé. « A Daraya, on discutait, entre militants et combattants. Ici, le pouvoir politique appartient aux groupes militaires, et on ne peut pas les contester. »

« La dynamique a changé »

Un projet de bibliothèque ambulante pour les enfants vaut aux jeunes hommes une mise en garde. « Des combattants sont venus nous demander quel type de livres on comptait faire circuler, et nous dire ce qui était licite. » Le projet devrait bientôt voir le jour. « Mais tout est compliqué, et peut devenir dangereux. Les militants installés à Idlib s’imposent beaucoup de limites, par peur. Quand on les a rencontrés, ils nous ont dit : Vous faites vraiment trop 2011 [la période de la révolte pacifique contre le régime syrien]. A Idlib, on voit que la dynamique a changé, et pas dans le bon sens. »

Une centaine de « conseils locaux », l’organe qui administre les régions sous contrôle de l’opposition, y ont vu le jour. Ils absorbent l’aide internationale destinée aux civils : nourriture, logements, services… Les deux millions d’habitants – dont 700 000 déplacés – de la province d’Idlib en dépendent. Malgré les incessants bombardements, syriens et russes, malgré les rivalités aussi, ils sont parvenus à établir une forme de gouvernance participative, affirme Sam Heller, chercheur de la Century Foundation, un think tank basé aux Etats-Unis. Mais ils sont concurrencés par les factions armées, qui cherchent à étendre leur influence par les services qu’elles fournissent.

Et s’il existe une « opposition armée vivante et modérée », souligne Sam Heller, les groupes plus radicaux ou djihadistes « contrôlent le pouvoir local ». Sans surprise, ce sont les djihadistes du Front Fatah Al-Cham (ex-Front Al-Nosra, lié à Al-Qaida) et les salafistes d’Ahrar Al-Cham qui sont les plus influents. En 2015, ils ont été à la tête de l’offensive au sein de la coalition de l’Armée de la conquête, qui a permis aux rebelles de s’emparer de la quasi-totalité de la province d’Idlib. Depuis, ils oscillent entre rivalité et alliance.

L’opposition modérée de la Coalition syrienne, qui voulait faire d’Idlib une vitrine, y est totalement marginalisée. Le régime Assad, de son côté, ne peut que se satisfaire de ce fiasco et de la domination des factions les plus ultras, car elle sert sa rhétorique en agissant comme un repoussoir, affirme Sam Heller.

« Chaos »

« C’est le chaos ici, affirme Dani Kappani (le nom a été modifié pour des raisons de sécurité), un militant originaire de Mouadamiya Al-Cham, près de Damas, qui a gagné Idlib en novembre, après une autre évacuation. A certains points de contrôle, les combattants se comportent comme des voyous. Et puis il y a des groupes, radicaux ou pas, qui interdisent aux militants de filmer ou de porter le drapeau de l’Armée syrienne libre [ASL]. » Le Front Fatah Al-Cham est de ceux-là. Il a plusieurs fois attaqué des groupes liés à l’ASL, réprimé des manifestations dans la province d’Idlib et s’est rendu coupable d’exactions ou de massacres.

Le son d’une explosion résonne derrière la voix de Dani Kappani. Un obus, dit-il. « Il n’y a aucune sécurité dans cette région. » L’envoyé spécial de l’ONU, Staffan de Mistura, s’inquiète d’ailleurs que la ville d’Idlib devienne « la prochaine Alep » si aucun accord de cessez-le-feu n’est conclu. Depuis un an, le régime a fait affluer vers cette région les combattants et civils de plusieurs régions rebelles dont il a obtenu, par la stratégie du siège, la reddition.

Les partisans du régime sont persuadés qu’Idlib, qui est l’un des derniers bastions de la rébellion, sera la bataille ultime contre les insurgés. Dani Kappani craint autant un encerclement total qu’une intensification des bombardements. Mais pour lui, gagner Idlib était « la seule option. D’autres militants et combattants ont choisi de rester à Mouadamiya, en retournant sous le contrôle d’Assad. Pour moi, cette réconciliation qu’impose le régime à des villes où ses forces ont tué et affamé les gens est insupportable. »

Pourquoi Alep est-elle finalement tombée ?
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