Antoine Deltour (au centre) et ses avocats, en avril. | JOHN THYS / AFP

Le deuxième jour du procès en appel des lanceurs d’alerte et d’un journaliste dans l’affaire « LuxLeaks » s’est déroulé devant un public plus confidentiel, lundi 19 décembre, dans la Cité judiciaire de Luxembourg. La semaine précédente, au moins une centaine de personnes, avec pancartes et banderoles, étaient venues soutenir Antoine Deltour et Raphaël Halet, anciens collaborateurs du cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers (PwC), au cœur d’un scandale d’optimisation fiscale, et le journaliste de « Cash Investigation », Edouard Perrin.

A l’issue de son réquisitoire, l’avocat général John Petry a demandé pour les deux lanceurs d’alerte des peines allégées, requérant six mois de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende pour Antoine Deltour, et 1 000 euros d’amende pour Raphaël Halet, sans peine de prison. Il demande notamment que les deux hommes soient finalement acquittés des chefs de violation du secret des affaires, mais conserve entre autres les chefs de violation du secret professionnel et de vol domestique. Il a également demandé la confirmation de l’acquittement de M. Perrin, à nouveau devant la cour à la suite d’un appel général du parquet, qui « n’a pas été inspiré par le souhait de condamner à tout prix M. Perrin », selon les mots de M. Petry.

Le statut de lanceur d’alerte en question

L’avocat général a voulu détricoter le statut de lanceur d’alerte des deux prévenus. La diffusion d’informations d’intérêt public, estime-t-il, « n’est pas une condition suffisante » pour faire un lanceur d’alerte, citant donc cinq autres critères, dont un, concernant la sévérité des peines, s’applique à l’Etat. Le parquet a notamment mis en avant le critère de la proportionnalité du préjudice causé au cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers et à ses clients, en communiquant à un journaliste 20 000 pages de rescrits fiscaux, ces accords passés entre des multinationales cherchant à économiser des impôts et le fisc luxembourgeois. En transférant à Edouard Perrin une telle masse de documents, Antoine Deltour n’aurait pas, selon l’avocat général, respecté ce critère de proportionnalité. Et John Petry d’énumérer les alternatives qui se présentaient à l’ancien auditeur, comme la possibilité de « ne pas divulguer des documents, mais se limiter à divulguer des informations qui décrivent sans les nommer le type de bénéficiaires de ces pratiques » d’optimisation fiscale.

Pour l’avocat de M. Deltour, Me William Bourdon, l’avocat général « pense que son devoir est d’accrocher à tout prix une condamnation », ajoutant qu’en tant que lanceur d’alerte, son client ne peut qu’être acquitté à l’issue de ce procès en appel. Concernant les préjudices subis par PwC et ses clients, Me Bourdon a dénoncé le caractère « vain » de l’argumentaire de l’avocat général, estimant « qu’en face il y a la révélation d’une évaporation sur des dizaines et des dizaines de milliards d’euros au détriment de l’Europe, au détriment du contribuable européen et une source de distorsion considérable entre les pays ».

La défense demande l’acquittement

« Si la cour respecte la jurisprudence elle doit constater qu’Antoine remplit toutes les cases du lanceur d’alerte et que la seule décision possible c’est l’acquittement. Si Antoine n’est pas acquitté, il n’y a aucun lanceur d’alerte qui sera acquitté dans ce pays. »

L’avocat général a également estimé que Raphaël Halet, qui a contacté le journaliste Edouard Perrin en 2012 après la diffusion d’un premier numéro de « Cash Investigation » sur le cabinet d’audit, et communiqué – entre autres – plusieurs déclarations fiscales de grandes entreprises, n’a pas non plus respecté ce critère de proportionnalité. Pour John Petry, l’optimisation fiscale pratiquée par PwC et les multinationales avait déjà été amplement démontrée à l’aide d’Antoine Deltour, et les documents copiés et transmis par Raphaël Halet n’étaient pas indispensables.

Enfin, Antoine Deltour a été attaqué, comme lors du premier jour du procès, sur ses intentions, au moment où il a copié les documents en 2010, et la raison pour laquelle il avait attendu plusieurs mois pour les confier à un journaliste. L’avocat général a estimé que son intention d’être un lanceur d’alerte n’était pas présente dès le départ, et qu’à ce titre Antoine Deltour ne pouvait être protégé pour le vol de documents. L’avocat général « a imaginé, inventé des conditions de protection de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui n’existent pas », a réagi Me Bourdon, qui s’étonne qu’on demande à Antoine Deltour d’être « au moment du premier geste, intégralement déterminé à être un lanceur d’alerte, alors que c’est aussi une incubation, un processus jusqu’à la divulgation » des documents.