L’ambassadeur russe, Andreï Karlov, juste avant de se faire assassiner par l’homme derrière lui, Mevlüt Mert Altintas, à Ankara, le 19 décembre 2016. | BURHAN OZBILICI / AP

Il faut se méfier des comparaisons historiques trop faciles. Le seul point commun est l’arme du crime un revolver. Mais Andreï Karlov, l’ambassadeur russe assassiné le 19 décembre à Ankara, n’est pas l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône des Habsbourg tué avec sa femme le 28 juin 1914 à Sarajevo.

Le jeune policier turc Mevlüt Mert Altintas, qui a tiré sur le diplomate de Moscou pour venger les morts d’Alep au nom du djihad, n’a pas non plus grand-chose à voir, sinon son âge, avec le jeune nationaliste pro-serbe Gavrilo Princip. L’époque est certes aujourd’hui, comme alors, lourde d’incertitudes et de menaces, mais cela ne suffit pas à justifier l’idée que l’attentat dans la capitale risque, comme celui de Sarajevo, d’enclencher un engrenage vers une guerre mondiale ou même régionale.

Gavrilo Princip, un militant de la cause serbe

Gavrilo Princip, 19 ans, membre de Mlada Bosna (Jeune Bosnie), militait pour détacher l’Autriche-Hongrie la Bosnie-Herzégovine, province arrachée à l’empire ottoman en 1878, placée sous protectorat de Vienne puis annexée en 1908. Son mouvement était manipulé par l’organisation terroriste de la Main Noire, dont le colonel Apis, le patron des services secrets serbe, tirait les ficelles. Son but était de créer une union des Slaves du Sud sous l’égide du royaume de Serbie.

Les policiers autrichiens enquêtant sur l’assassinat de l’archiduc mirent à jour rapidement les éléments du complot accumulant des preuves sur l’implication serbe. D’où la décision de Vienne de punir Belgrade. Un ultimatum fut lancé un mois plus tard.

Mais, entre-temps, la logique des alliances avait compliqué la donne. La Serbie était soutenue par la Russie, alliée de la France, elle-même liée à la Grande-Bretagne par l’Entente cordiale. L’Autriche-Hongrie était alliée de l’Allemagne. Chacun avait son propre agenda. Le jeu des surenchères comme l’irresponsabilité des dirigeants de l’époque transformèrent cette crise balkanique en un conflit mondial.

Mevlüt Mert Altintas, un islamiste radicalisé

L’acte de Mevlüt Mert Altintas, 22 ans, policier turc islamiste radicalisé, a au contraire été condamné avec tout autant de vigueur par le président turc, Recep Tayyip Erdogan, que par son homologue russe, Vladimir Poutine, qui a dénoncé le crime comme « une provocation destinée à perturber la normalisation des relations russo-turques et le processus de paix en Syrie ».

Les guerres ont certes été nombreuses dans l’histoire entre l’empire russe et l’empire ottoman. La Turquie, pilier du flanc sud-est de l’OTAN, est en première ligne. Mais, déçu par l’attitude des Occidentaux, le président turc s’est de plus en plus rapproché ces derniers temps du Kremlin, qui lui a permis de créer au nord de la Syrie une mini-zone de sécurité, ce que Washington lui avait refusé. Ce rapprochement, autant que la dérive autoritaire du régime, inquiète l’Alliance atlantique, où l’on s’interroge de plus en plus sur la fiabilité de l’allié turc.

A court terme au moins, cet attentat pourrait au contraire même renforcer la coopération entre Ankara et Moscou. En revanche, cet assassinat, mené en plein cœur de la zone théoriquement la plus contrôlée d’Ankara et par un policier, ne peut que renforcer la paranoïa de M. Erdogan.

Il y a bien le risque d’un krach sécuritaire en Turquie après les vastes purges menées dans la police, la justice et l’armée depuis le putsch raté du 15 juillet. Le pouvoir en attribue la responsabilité à la confrérie de Fethullah Gülen, imam septuagénaire réfugié aux Etats-Unis depuis 1999, qui fut son allié avant de devenir son plus implacable adversaire.

C’est aujourd’hui la fragilité même des institutions turques derrière l’apparence d’un pouvoir fort et toujours plus autoritaire qui représente le danger majeur, alors que les métastases du conflit syrien ont gagné le pays.